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Quand l’Europe bunker externalise...

mercredi 22 octobre 2008


Le 31 août 2008, le gouvernement algérien créait le délit d’"émigration illégale" qui menace les "harragas" (voir encadré) d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans de prison. Le parlement devrait avaliser cet automne.

Garde-chiourme pas chers pour pays riches.

Depuis la fin des années 90 on assiste à un renforcement du contrôle à l’encontre des migrantEs mené par les pays voisins de l’UE. Des camps d’enfermement se multiplient aux frontières de l’Europe forteresse en Libye, Mauritanie, Ukraine, etc. En 2006, un rapport d’Amnesty International dénonçait les mauvais traitement reçus par les migrantEs transitant par l’Ukraine et l’expulsion en février 2006, vers l’Ouzbékistan, de dix demandeurs d’asile poursuivis dans leur pays pour des motifs politiques. Nous n’avons pas oublié non plus les tragiques évènements de Ceuta et Melilla en septembre 2005 : des migrantEs, tentant de passer dans l’enclave espagnole ont subi les tirs de l’armée marocaine. Bilan, plusieurs morts. Dernière nouveauté, la coorganisation de patrouilles aux frontières comme celles menées par la flicaille espagnole avec ses acolytes mauritaniennes ou sénégalaises.

Des patrouilles policières libyennes et italiennes fliquent aussi conjointement les côtes et les frontières terrestres de la Libye. Notons que l’Italie, qui avait déjà passé des accords avec Kadhafi en 2003 (formation des flics, financement d’un camp et de charters, etc), a activement milité pour la levée de l’embargo. La Libye ayant été joyeusement réinvitée au banquet des nations, elle peut désormais recevoir le matériel high tech du parfait chasseur de migrantEs (hélicoptères équipés de viseurs infra rouges, vedettes, radars, etc.). D’ailleurs, après les accords bilatéraux italo-libyens, c’est l’ensemble de l’UE qui s’est pressée sous la tente de Kadhafi en signant en juin 2005 un accord de coopération "sur les questions d’immigration". Le bilan est déjà prometteur : 54.000 expulsions en 2004 contre 43.000 en 2003. On n’oublie pas non plus l’accueil triomphal réservé au dictateur libyen dans notre si précieux pays des droits de l’Homme. Outre le pétrole, c’est donc bien la cogestion du flicage des frontières qui a présidé à la réintégration internationale de la dictature nord-africaine d’autant que cette dernière a su habillement jouer du robinet de migrantEs, ouvert ou fermé, pour faire pression sur l’UE. Quelques boat peoples en direction de Malte ou de Lampedusa et on se met un Berlusconi puis toute l’Europe dans la poche.

Quelques étapes de la délocalisation du contrôle aux frontière.

Avant d’externaliser, il a fallu ériger l’Europe Bunker. Depuis 1973-1974, chaque pays s’y est mis avant de travailler de conserve. Les critères de régularisation n’ont cessé de se restreindre, aux dépens notamment du regroupement familial. La coopération policière est devenue un chantier permanent, l’enfermement dans les centres de rétention une norme et les états de l’UE en sont à coorganiser les charters pour réduire les coûts de l’expulsion. Ajoutons une bonne dose de fichage (ELOI en France, les Rroms en Italie, le futur passeport biométrique d’ici 2011...) pour remplir la marmite du racisme d’État. La directive sur la rétention et l’expulsion des personnes étrangères (directive de la honte) adoptée en juin par le parlement européen est une sorte de synthèse de ces tendances. Tous les pays du Nord suivant le même schéma, il fallait bien qu’ils s’entraident et dépassent leur seul cadre régional. Une vaste offensive politique et idéologique est alors lancée, mêlant, dès avant le 11 septembre, immigration et sécurité ou lutte contre le terrorisme. L’affaire étant dans le sac, on pouvait délocaliser.

Malgré l’offensive médiatique, les expulsions passent parfois mal (on se souvient des trains bloqués à la fin des années 1990 par des soutiens aux sans-papierEs, des avions bloqués, des refus d’embarquement...). De plus, aucune frontière n’étant imperméable, pourquoi ne pas faire faire le sale boulot à d’autres en créant une deuxième enceinte éloignée de l’UE. Les accords de Barcelone pour un dialogue méditerranéen de 1995 sont une étape importante dans la constitution d’une zone tampon puisque l’UE délègue une partie du contrôle des flux migratoires vers le Maghreb. Il en va de même sur la frontière orientale. Les pays de l’ancien bloc de l’est multiplient les lieux d’enfermement des migrantEs. Avec l’extension de l’UE, ceux-ci gagnent jusqu’à la Russie. Devant la fermeture des frontières les plus accessibles comme le détroit de Gibraltar, les migrantEs ont progressivement cherché d’autres portes d’entrée dont celles passant par la Libye ou l’Atlantique. Dès lors, il fallait élargir le cercle des supplétifs de la politique migratoire européenne. La Libye, l’Egypte, la Mauritanie, Israël, etc sont donc appelées à la rescousse.

Dernière pierre de l’édifice, se tourner directement vers les pays de départ. A coups d’aide au développement et de contrats commerciaux, les dirigeantEs du nord imposent aux potentats locaux de s’attaquer à l’émigration. L’offensive française, dans le cadre de "l’immigration choisie", est ainsi particulièrement forte dans son ancien empire colonial. Les présidents de l’Afrique du nord puis subsaharienne ont été acclamés quand ils ont rendu l’émigration illégale au mépris de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Ironie du sort, les mêmes dénonçaient, au temps de la guerre froide, le monde soviétique pour les mêmes motifs. Le Maroc en 2003 a donc été le premier à franchir officiellement le pas. Cette manipulation juridique s’accompagne évidemment d’une coopération policière comme celle entamée par l’Espagne depuis 2006 avec les pays du littoral atlantique de l’Afrique.

Entre fermeture des frontières et immigration choisie : le patronat fait son beurre.

La multiplication des contrôles et les discours gouvernementaux sur la fermeture des frontières ne font que renforcer la précarité des migrantEs qui deviennent rapidement des clandestinEs quand l’OFPRA ou ses équivalents européens réduisent comme peau de chagrin les critères de régularisation et d’asile. Pour autant, jamais les pays européens n’ont eu autant besoin des immigréEs, à tel point d’ailleurs que, dès 2006, Sarkozy et ses sbires cherchaient à mettre en oeuvre la sinistre "immigration choisie" qui définit les quotas d’immigréEs nécessaires à l’ex-métropole en fonction de l’origine ethnique ou du métier.

Cette politique de besoin de main-d’oeuvre et de fermeture n’est contradictoire qu’en apparence. Plus les politiques migratoires seront dures, plus la condition des travailleurs/ses immigrés sera précaire et plus le patronat européen bénéficiera d’une main-d’oeuvre corvéable à merci. Rappelons aussi que ce sont les travailleurs/ses immigrés (avec les femmes en général) qui ont servi de tube à essai de la dégradation généralisée des conditions de travail.

Pour changer de continent, Nicholas De Genova montre très bien (voir "pour aller plus loin") que sur un siècle, les pressions contre les migrantEs n’ont jamais été aussi fortes à la frontière entre Mexique et États-Unis que quand le patronat de ces derniers avaient besoin de la main-d’oeuvre hispanique.

HARRAGAS : qu’on pourrait traduire littéralement
par brûleurs ou brûleuses. C’est le
terme en darija (arabe dialectal parlé dans la
rue) donné dans le Maghreb aux individue-
s essayant de passer clandestinement la
frontière européenne, les migrant-e-s illégaux
ou encore les sans-papiers. Au figuré,
ils/elles brûlent les frontières comme on brûlerait
un feu rouge et au sens propre, ils/elles
détruisent ou crament leurs papiers d’identité
(carte, passeport...) pour que leur pays
d’origine ne puisse pas être repéré dans le
cas d’une éventuelle expulsion ! Au-delà du
petit cours d’arabe, ils faut savoir reconnaître
les camarades : parce que nous anarchistes,
on aime bien les gens qui crament
leurs papiers d’identité.......et ceux qui sifflent
la marseillaise !!

LA RESISTANCE SE MET EN PLACE !!
La directive européenne du retour ou directive
de la honte suscite la colère aux quatre
coins du globe ! En Argentine, cet été (à la fin
du mois d’août), l’association AMUMRA réunissant
des migrant-e-s et des réfugié-e-s argentin-
e-s sans-papiers, a été à l’initiative
d’une grande manifestation à Buenos Aires
contre ladite directive. Les trois points particulièrement
critiqués sont : la détention de
mineur-e-s non accompagné-e-s qui viole la
convention des nations unies sur le droit des
enfants, la détention pendant une durée pouvant
monter à 18 mois de personnes qui n’ont
commis aucun crime, et le fait de pouvoir
bannir d’europe - 27 pays - pendant 5 ans les
sans-papiers.
Espèrons ou faisons en sorte que la colère se
propage au-delà du continent latino-américain
et gagne le Maghreb, l’Afrique ou encore
l’Asie pour faire face à ces politiques
d’états xénophobes criminalisant les luttes et
les individu-e-s cherchant une vie meilleure !