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Urbanisme : On en a marre d’être des pions !

mardi 9 octobre 2007


Thomas More, comme Charles Fourier plus tard, rêvait de construire la cité idéale. Une cité dans laquelle chacun-e aurait sa place en participant à la vie communautaire, tout en bénéficiant d’une qualité de vie sans équivalent en ville (propreté, espace...) ni dans les campagnes (accès aux services, confort).

Malgré de nombreuses tentatives du Paraguay à la Picardie, cette cité idéale n’a jamais vu le jour durablement... Mais cette utopie a depuis donné de l’imagination aux bâtisseurs de tous ordres, dont beaucoup n’avaient que faire du bien-être de leurs concitoyen-ne-s.

De la cité utopique à la ville totalitaire

La Révolution industrielle a vu naître au XIXè siècle en Europe occidentale de nombreuses cités-champignons, dont la cité minière est le plus bel exemple. Bâtie par et pour les patrons de l’industrie minière, elle est tout entière conçue au service de l’exploitation du minerai et des hommes. Quelle que soit sa forme (souvent circulaire), elle est construite dans l’objectif du contrôle maximum de l’autorité patronale sur les mineurs. Les plans prévoient la surveillance des uns par les autres, les déménagements s’y font au gré des promotions dans l’entreprise, les habitant-e-s y sont tenu-e-s de respecter les bonnes moeurs fixées par la compagnie (et son alliée l’Eglise bien souvent) sous peine d’être rétrogradé-e-s, les réunions sont interdites dans les maisons de mineurs, généralement situées au plus près des puits.

Ces villes totalitaires se bâtissent sur la promesse faite aux exilés des campagnes surpeuplées d’une vie agréable dans une vraie petite maison disposant d’un jardinet, confiée en sus d’un travail salarié rude mais offrant es garanties (sécurité sociale, retraite si on atteint l’âge). De nombreuses cités industrielles sont bâties sur ce modèle autour de la mine ou de l’usine, au service exclusif du profit des empereurs de l’industrie.

Les grandes villes anciennes, elles aussi, subissent au XIXè siècle bien des transformations visant à y faire régner l’ordre. Paris est nettoyé sous le Second Empire sous l’impulsion du Baron-Préfet Haussmann et la ville de Lille subit le plan d’agrandissement de 1858 : création de grands axes bien dégagés pour y faire passer les forces de l’ordre et loger les bourgeois, relégation de l’habitat pauvre dans certains quartiers, développement des courées possédées et gérées par les patrons des industries situées en ville.

Ils sont bien loin, les rêves des bâtisseurs de cités idéales. Et c’est pourtant encore sous couvert du bien-être de la population et d’un discours du mieux-vivre ensemble qu’est lancée en 1953 la politique des grands ensembles qui permettra de construire 6 millions de logements jusqu’en 1973. L’objectif : loger le plus possible au mètre carré des populations issues de l’exode rural et de l’immigration de main d’oeuvre contrôlée par le patronat industriel. Toujours le même discours : le "confort moderne" (eau courante, sanitaires, chauffage central), des loyers modérés, parfois la campagne alentour mais la ville pas loin... Au service des exploiteurs de main d’oeuvre, ces quartiers ont été laissés à l’abandon par les sociétés HLM et les collectivités territoriales, pour en arriver à la situation actuelle. La catastrophe sociale du chômage de masse et de la précarité rendent plus visible la ségrégation spatiale des banlieues, à tel point qu’on voudrait nous faire croire que les gens sont dans la misère parce qu’ils vivent dans les "quartiers" (et que chacun-e doit se battre pour s’en sortir et blablabla) alors que c’est l’inverse : on vit dans les quartiers parce qu’on est dans la misère ! L’organisation économique qui a créé les banlieues y a créé le chômage, la disparition des services publics, de l’accès à la santé... et cherche transformer les victimes en coupables ou en incapables !

Après avoir sinistré la périphérie des villes, les bouffeurs de profits continuent à se chercher de nouveaux espaces pour transformer beaucoup de pognon en encore plus de pognon. La vague des grands ensembles avait commencé à virer des centre-ville les habitants de logements insalubres, celle des réhabilitations / reconversions parachève le boulot en grand, en s’attaquant au coeur même des villes.

De la reconversion à l’épuration des villes

Euralille, initié à la fin des années 80, et Euroméditerranée à Marseille, en sont deux exemples phare. A chaque fois le discours est le même : il s’agit de "redynamiser" l’économie de la métropole. Les secteurs industriels sinistrés, il faut faire la place à une "économie de services (comprenez la finance, le commerce et les télécommunications) génératrice de "milliers d’emplois" et qui va redorer l’image de la ville. C’est ainsi que l’on va transformer des quartiers entiers près des centre-ville habités par les classes populaires. A Marseille, les quartiers de Noailles, Belsunce, le Panier, la Plaine, la Joliette sont en chantier et on construit de jolis bureaux et de clinquantes résidences. Tout cela pour attirer les cadres supérieurs de France et de Navarre dans une ville dont l’image vieillotte est dépoussiérée pour devenir un "pôle financier et commercial offrant un cadre de vie agréable dans une cité de charme".

De charme, oui, car si ces mutations permettent de virer des centre-ville ceux qui n’auront plus les moyens d’y vivre, on va conserver sous bocal, voire ressusciter 2 ou 3 animations typiques. La vente à la criée, le marché de Wazemmes, la Fête de la Soupe ou le festival d’accordéon séduiront les bourgeois friands d’exotisme presque vrai et sans risque. Lille, Marseille, des villes tellement typiques où tout le monde feint d’ignorer que les marchés aux saveurs cosmopolites reposent sur l’exploitation de sans-papiers payés 20 euros la journée.

L’opération de reconversion, on le voit, est aussi une opération de communication de grande ampleur. Il s’agit de donner une nouvelle image à la ville (Lille vient d’obtenir le label "Ville touristique... qui lui permet de créer un casino). Echaudés par les protestations des habitant-e-s viré-e-s de leurs quartiers, les promoteurs de ces projets essaient de cacher leurs bulldozers derrière des grands messes dites participatives ? Ces concertations ne remettront jamais en cause les fondements des projets. Elles seront tout simplement annulées si elles s’avèrent trop agitées (ce fut le cas des Ateliers Urbains de Proximité mis en place pour la création de la Maison Folie de Moulins pour Lille 2004) ou contournées (les fameuses grilles rouges du parc JB Lebas sont apparues bien après les concertations). Avec Lille 2004 (puis Lille 3000), les promoteurs de l’évènement – en premier lieu les grands patrons Bonduelle & Cie – ont donné à Lille l’image d’une métropole qui bouge...

Lille en chantier : dehors les pauvres !

Et en effet ça bouge. Après le ravalement de façade de Wazemmes, c’est le quartier de Moulins qui est démantelé. L’avancée d’Euralille 2 et bientôt 3 (le projet est en cours de définition) a permis dans le secteur Porte de Valenciennes de détruire les barres d’immeuble Marne & Somme et bientôt celles de Verdun, tout en réhabilitant la seule tour qui restera debout pour en virer les habitant-e-s actuels (ce qui se passe en ce moment dans la fameuse tour Coca-Cola). Coût de l’opération de requalification : 36 millions d’euros. Il faut dire que le secteur avait bien été laissé à l’abandon, un article élogieux du Point qualifiant même cette zone de "presque friche habitée" ! Le tout entraîne l’explosion des prix de l’immobilier déjà frappés par une hausse vertigineuse depuis l’installation de la fac de droit en 1995. Dans ce quartier le cheval de Troie de la "mixité sociale" a largement permis de virer vers la périphérie les anciens habitants aux loyers modestes. Leurs logements réhabilités, divisés ensuite en 4 ou en 6, rapportent alors 4 ou 6 fois plus aux propriétaires. Bien sûr Lille est la "ville de la solidarité", alors on va faire des ateliers d’écriture avec les habitant-e-s de la Barre Grise (Bd de Strasbourg) pour prétendûment "rendre leur dignité" à ceux et celles qu’on vire de la ville.

La destruction de ces barres symboliques a amené de grandes opérations de communication visant à masquer le déficit croissant de logements sociaux sur la ville. Pendant ce temps-là, les expulsions de locataires se multiplient : en septembre à Lille on compte déjà 120 recours à la force publique signés par le préfet (contre 20 en 2004, 36 en 2005, 44 en 2006). Décidément l’instauration de la "mixité sociale" ressemble plutôt à une grande lessive visant à nettoyer la ville de ses pauvres. L’arrêté anti-alcool dans le centre-ville, l’installation de bancs et d’abribus où on ne peut pas se coucher démontrent bien que Sarkozy n’a pas le monopole du Karcher.

Les projets sont encore nombreux et Lille est un sacré terrain de chasse pour promoteurs immobiliers. Le déménagement de la Sernam et la vente de la Gare Saint Sauveur par le Réseau Ferré de France, en négociation, libèrent un espace de 21 hectares en pleine ville, et la construction future d’un nouveau quartier y aiguise les appétits. Les Rroms qui s’étaient installés dans le secteur s’en sont vite faits dégager (ils se sont d’ailleurs réfugiés dans les gravats des barres HLM Marne & Somme à Porte de Valenciennes).

A Lille-sud, l’Agence Nationale pour le Renouvellement Urbain a provisionné 220 millions d’euros pour "faire aussi bien qu’à Euralille", dixit Martine Aubry. 1.000 logements sociaux doivent y être détruits pour construire maisons individuelles et petits immeubles censés casser l’effet ghetto du quartier. Démultipliés par le développement du pôle Eursanté voisin et l’arrivée de sa main d’oeuvre ultra-qualifiée, les effets sur les prix de l’immobilier n’ont pas traîné : le prix des maisons vient d’augmenter de 41% en un an. D’ailleurs on y implante des services : le nouvel hyper-commissariat de Lille ne va pas tarder à être en activité aux portes du quartier !

Tant que nous ne prendrons pas en mains, ensemble, la destinée de nos rues et de nos quartiers, l’urbanisme sera l’affaire des businessmen aux dents longues et de leurs alliés du monde politique. Pourtant bien peu sont dupes parmi ceux et celles qui subissent ces politiques de réaménagement urbain au profit du capitalisme triomphant. Combien de temps encore serons-nous les pions du monopoly des puissants ?