C’est devenu un lieu commun universitaire : les séries sécréteraient les anticorps critiques dont nous aurions besoin pour ne plus subir notre désastreuse époque. À rebours de ses trop complaisants collègues, Bertrand Cochard les appréhende comme des objets idéologiques : « La série, c’est l’époque passée par l’alambic : elle constitue un précipité d’idéologie, quelque chose comme la substantifique moelle de ce que nous vivons. »
Penser ce phénomène impose d’abord une réflexion sur l’addiction aux écrans, les réalisateurs de séries étant flanqués d’experts en captologie, cette science de la mobilisation de notre « temps de cerveau disponible ». Cela implique égale- ment d’examiner notre rapport au temps, non pas libre mais « libéré » par le travail.
« S’appuyant sur les travaux de Guy Debord, l’auteur constate que la série est le passe-temps le plus adapté à notre régime d’historicité. »
S’appuyant sur les travaux de Guy Debord, l’auteur constate que la série est le passe-temps le plus adapté à notre régime d’historicité : épuisés par nos bullshit jobs, enlisés dans l’ère de « la fin des grands récits », elle séquence et vectorise notre temps, lui offre une fin qui nous fait oublier notre finitude, en quoi elle est bien un divertissement pascalien.
Pire, le phénomène des séries accomplit une désynchronisation des temps sociaux, en nous rivant, comme jadis les paysans, à une nouvelle temporalité cyclique, « saisonnière » justement, tandis que l’oligarchie, elle, vit dans l’histoire en agissant (ou en refusant d’agir) sur notre monde qui se défait.
Mais surtout, les séries façonnent nos imaginaires, et les conforment insidieusement aux exigences du capitalisme.
Toutes sont imprégnées de l’idéologie du développement personnel, laquelle repose sur la pauvre croyance qu’il nous suffirait de modifier notre regard sur notre existence pour que s’épanouissent nos qualités profondes et advienne une version améliorée de nous-mêmes. Entreprise vouée bien sûr à l’échec (et au ridicule). C’est sans doute l’idée la plus passionnante de l’ouvrage, et il est regrettable qu’elle ne soit pas plus développée.
L’ouvrage, hélas trop court, n’en demeure pas moins nécessaire. Nous sommes désormais sans excuse : nous savons que se livrer au binge watching de séries, c’est s’aliéner à un monde sans avenir.