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Venezuela : les réalités du "chavisme" vues par un anarchiste

mercredi 14 mars 2007


Texte adapté du journal de bord tenu sur son site web par Nico, anarchiste grenoblois qui a vécu un an au Venezuela.
Texte original : www.maspoesia.contrapoder.org.ve

Ces quelques pages sont censées donner un aperçu de ce que je vis, je vois, j’entends, j’apprends d’une année au Venezuela. Plusieurs raisons à cela : donner des nouvelles un peu à ma famille et amiEs mais aussi partager l’expérience de quelques mois dans un pays en plein "processus révolutionnaire bolivarien" (à l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais toujours pas ce que cela signifie). J’avais envie de voir par moi-même et de témoigner d’une situation dont on perçoit peu de choses en France si ce ne sont les échos des fantasmes révolutionnaires.

Premiers pas à Caracas

Je passe ma première nuit à l’hôtel dans le bruit des sirènes et des compresseurs d’air conditionné de l’immeuble. Ils doivent être situés pas loin de la chambre.
Je suis conduit là par Alberto, un enseignant de l’université Simon Bolivar avec lequel je suis en contact depuis plusieurs mois. Alberto veut me loger mais c’est le chamboulement chez lui à cause de l’effondrement d’un bout de montagne au fond de son jardin, il y a quelques jours, à la suite de pluies diluviennes. Il est donc en train de faire construire un mur pour empêcher de futurs plus gros dégâts. Les habitantEs des bidonvilles qui ceinturent Caracas, agrippés aux flancs des montagnes, n’ont pas les moyens de se construire de tels murs et le dernier glissement de terrain en 1995 a fait plusieurs dizaines de milliers de mort parmi eux. D’ailleurs, Alberto habite une sorte de quartier privé, gardé jour et nuit.

Après ma nuit d’hôtel, j’atterris finalement chez Rafik, un libano-vénézuélien, ingénieur industriel et spécialiste en tout genre de business. Il habite entre la Plaza Venezuela et l’Avenida Libertador dans un immeuble, au pied d’immenses tours chapeautées des enseignes Pepsi-Cola et d’une énorme tasse à café flamboyante Nestlé. Il a une chambre de libre dans son appartement et se propose de m’héberger. Commence alors une longue pérégrination en pick-up américain à travers les rues de l’Est de Caracas. Celle-ci continuera le lendemain et deviendra pesante.

Rafik est pro-Chavez et grosso modo pour le processus de révolution bolivarienne. Je ne suis pas sûr d’avoir saisi toutes les nuances, les implications de ce que cela signifie. Pour l’instant, j’ai retenu qu’il est pour la justice sociale, pour de nouvelles formes de régulations sociales (vaguement autogérées), pour de nouvelles institutions démocratiques qui empêcheraient un retour en arrière. D’après Rafik, les habitantEs des barrios (les bidonvilles) n’ont pas gagné grand-chose avec Chavez, juste la dignité d’exister, le fait de pouvoir s’organiser autrement, de s’émanciper de l’emprise des grosses compagnies. Rafik me donne l’exemple des balayeurs de rue qui quelques années auparavant travaillaient pour une multinationale française. Cette multinationale les payait une misère et au passage ne nettoyait pas grand-chose. D’ailleurs, cela faisait les affaires de l’opposition à Chavez, qui en profitait pour dénoncer l’incurie de la gestion chaviste. La municipalité chaviste a alors proposé à ces travailleurs de s’organiser en coopérative autogérée pour assurer le nettoyage des rues. Deux avantages à ce système : un meilleur salaire pour les balayeurs et des rues plus propres. Rafik a commencé à me raconter cela alors qu’il donnait par la fenêtre de son pick-up, au moment de démarrer, quelques bolivars (la monnaie vénézuélienne) à un balayeur pour qu’il se rafraîchisse. C’est ça "le processus" ? La charité comme justice sociale ?
Lors de mes pérégrinations en pick-up, je traverse les quartiers "exclusifs" où habite la classe moyenne haute pour ne pas dire la bourgeoisie. Rafik est clair, ces quartiers sont à 80% contre Chavez (c’est bien sûr le contraire dans les barrios). En tout cas, ils puent le fric, même pour un occidental. On se croirait dans les quartiers huppés de Paris et sa banlieue. Rafik me commente le niveau des loyers, les prix dans les centres commerciaux, il me livre une sorte de géographie sociale de Caracas. On peut passer d’un quartier pauvre à une zone exclusive en franchissant seulement une rue et la différence est nette. Seules les poubelles des riches ont tendance à déborder sur les barrios.

Dans certains quartiers, des magasins sont fermés suite à une descente du fisc. Ils refusent de payer leurs impôts et sont donc fermés en représailles par le gouvernement. Si au début une partie de la classe moyenne pouvait être avec Chavez, elle s’est depuis ralliée à l’opposition car Chavez ne satisfaisait pas la défense de ses intérêts petits-bourgeois. On serait donc revenu à une forme plus classique des luttes sociales et politiques, à la lutte des classes.

J’accompagne aussi Rafik à son usine. C’est une sorte de no man’s land au milieu d’un barrio. Il y a un hangar avec des machines chinoises. Elles sont là depuis deux ans mais ne tournent plus car Rafik n’a plus d’argent pour poursuivre leur installation. L’ensemble est gardé par une famille du barrio voisin. Je crois que Rafik confond souvent paix sociale et justice sociale. Il m’explique qu’il alimente en eau le barrio, qu’il prend soin des familles qui habitent là car il a besoin d’elles pour pouvoir démarrer dans de bonnes conditions son usine à moitié terminée. On repart à travers les barrios, les ensembles d’immeubles accrochés aux pentes des collines qui environnent Caracas, noyés dans la forêt tropicale. Pourquoi ces immeubles sont là : concentration d’habitations pour l’approvisionnement en main d’œuvre d’une quelconque industrie ou tentative désastreuse de rénovation d’un barrio ? C’est certainement un peu des deux. Le processus va être encore long avant que la "dignité retrouvée" se transforme en un habitat humain.

Mais d’après Rafik, tant que le cours du pétrole sera haut, le processus aura ses chances. Par contre, s’il chute, cela sera la fin du processus et de Chavez. Cela se tient. Puis, dans un long monologue géopolitique aux enjeux délirants, Rafik m’explique finalement que la guerre en Irak, la pression sur le Venezuela n’ont qu’un seul but, contrôler le pétrole … pour mieux bloquer le développement de la Chine, le seul ennemi réel des USA, car le seul capable de se substituer à l’empire américain. Fin de la représentation !

Rencontres anarchopunks

Je pars ce soir, jeudi, pour deux jours de rencontres anarchopunks à Maracaibo. Ce sont les 8èmes rencontres du genre. Elles ont lieu dans plusieurs villes du Venezuela et consistent principalement en activités, débats, rencontres, concerts autour du mouvement anarchopunk. Les journées ont un double objectif, permettre une rencontre des membres de ce mouvement pour qu’ils et elles s’organisent, et promouvoir les idées libertaires. Ainsi, lors des dernières rencontres, il a été décidé de monter une coopérative pour l’acquisition d’un camion et de matériel de sono. Une fois acquis, cela servira à l’organisation de concerts et de tournées.

Maracaibo est un gros port de commerce situé sur les rives du lac du même nom. C’est le plus grand du continent. Il est recouvert de derricks car la région est aussi la première productrice de pétrole du Venezuela. Pour faciliter l’exploitation des gisements, le lac a même été ouvert sur la mer … Les eaux saumâtres et polluées du lac sont un des nombreux bienfaits de l’industrie pétrolière de la région !! La géographie très américaine de la ville est peut-être due à la présence massive de salariéEs des majors pétrolières dans la première moitié du XXème Siècle. Ce n’est en effet que dans la seconde partie du XXème Siècle que le Venezuela a pu s’affranchir, dans une petite mesure, des grandes compagnies pétrolières. Cet affranchissement est d’ailleurs encore l’enjeu politique principal du Venezuela. Et Chavez, se rapprochant en cela des fondateurs de l’OPEP et des dirigeants non-alignés des années 60, en a fait son cheval de bataille.
Mais, il n’y a pas que le pétrole dans la région. Il y a aussi les exploitations de charbon de la Sierra Perija. D’ailleurs, le gouvernement chaviste pousse à l’ouverture de nouvelles carrières, toujours dans un souci de "développement" et de constitution d’un contre-poids à "l’imperio" américain. Les indienNEs guajiro qui habitent la région ne sont pas de cet avis ! Ils/Elles ne sont pas dupes des bienfaits du développement : destruction de leur environnement naturel, social et culturel, illusion d’être bien payéEs à la mine, perte de l’autonomie alimentaire, misère, drogue, prostitution… Leur lutte est particulièrement soutenue par le mouvement libertaire et, plus surprenant, par des écologistes pro-Chavez. D’ailleurs, les indienNEs le sont aussi pour la plupart. Cette lutte illustre donc bien les contradictions du processus de révolution bolivarienne (volonté de changement social qui se traduit dans les faits par les recettes éculées du développement technique et industriel à tout prix).

[...]
Aujourd’hui a lieu la jornada anarchopunk de Valencia. Le principe et le contenu restent le même qu’à Maracaibo : vidéos et discussions sur l’immigration en Europe, l’action directe non-violente et tables de presse. Par contre, le cadre de la journée n’a pas grand-chose à voir puisque c’est un bâtiment de l’université de la ville. D’ailleurs, cette université n’a rien d’une université européenne. On croirait un camp de bungalows.
Prévue à 9 heures du matin, la journée va en fait commencer 3 heures plus tard pour des problèmes de clés et de disponibilité de salles. On se demande d’ailleurs bien pourquoi avoir fait commencer une journée anarchopunk un samedi matin à 9 heures. Finalement, on se retrouve à une centaine, entassés dans une salle de classe. Et oui, une centaine de personnes sont là malgré un programme plutôt aride, aucune activité festive n’étant prévue. Cela laisse rêveur. Les discussions s’ouvrent sur un échange très intéressant à propos de la situation politique au Venezuela. Un punk colombien sans-papiers précise d’une part qu’il préfère encore Chavez à la droite ultra-conservatrice qui a tenu le pays pendant des dizaines d’années. Ce à quoi tout le monde opine. Il rappelle ensuite que Chavez ne vient pas de nulle part, qu’il n’est pas un accident historique. Il serait plutôt l’aboutissement de la maturation politique d’une armée vénézuélienne dont les soldats mais aussi l’encadrement seraient plutôt issus des classes inférieures. Il faudra que je creuse cela.

De retour à Caracas

Je me balade pour acheter des chaussures de marche entre la Plaza Venezuela et Chacaito. Ce sont deux quartiers populaires de Caracas qui font la transition entre l’ouest pauvre et noir et l’est beaucoup plus riche et blanc. Dans la journée, l’ambiance y est très commerçante. Les trottoirs sont bondés de stands de bouffe, de fringues, de bijoux, de bouquins, de housses de téléphone portable. Le travail informel est ici une activité économique à part entière, 50% de la population en dépend. La nuit, quelques bars, des fumeurs de cracks et la misère qui erre, sans dormir car c’est trop dangereux … elle attendra la journée pour se reposer et la fin d’après-midi pour faire les poubelles … Clichés éculés qui prennent corps dans la capitale d’un pays riche à milliards de pétrole.
Et pour contrôler cette misère, les flics et les militaires ne manquent pas entre la police militaire, métropolitaine, les diverses polices municipales, la garde nationale, les agents de sécurité. Tout ce beau monde est surarmé, porte gilet pare-balle et paraît totalement dévoué à la protection de son congénère …

Car bien sûr, ici on ne fait que parler de l’insécurité. Je n’arrive même plus à savoir si c’est paranoïa de ma part, cliché de l’occidental se baladant chez les pauvres ou réalité d’un pays qui dérive entre drogue, alcool et violence sociale. Il y a certainement un peu de tout.

Les journaux antichavistes du lundi ont beau jeu de rendre compte de la cinquantaine de morts violentes qui se produit le week-end à Caracas. Les chavistes ne sont pas à la traîne avec une politique sécuritaire qui n’a rien à envier à celle des pays occidentaux ou de la voisine Colombie, fer de lance du néo-libéralisme dans la région. Est-ce le fruit d’une relation complexe entre l’instinct de survie, le vieux fond fataliste catholique et l’influence du phénomène américain des bandes de quartier ? Toujours est-il que la vie semble avoir une valeur tout relative ici. La violence est parfois même revendiquée comme trait vénézuélien, comme la preuve de leur sang chaud. Mais que dire alors des lotissements privés, gardés jour et nuit à mille lieues des quartiers chauds de Caracas, des triples grilles à franchir pour rentrer dans les appartements des quartiers de la classe moyenne haute, blanche, bien pensante, n’ayant jamais foutu un pied dans un barrio ? On est bien sûr au cœur de la paranoïa qui nourrit une politique répressive de contingentement des classes les plus basses dans leur quartier.

500 ans de colonisation

Aujourd’hui, c’est férié. C’est le jour de la raza (du peuple, de la race), de l’hispanidad, de Christophe Colomb. Il y a mille noms pour célébrer le jour de la découverte du continent américain, le premier jour de 500 années de colonisation. Conscient de la force du verbe, le gouvernement chaviste a décrété que ce jour serait plutôt celui de la résistance indienne. Il est pour lui l’occasion de bombarder les journaux de propagande sur les actions éducatives, de redistribution des terres qu’il mène. D’ailleurs, il n’est pas rare que la presse d’opposition accuse le gouvernement chaviste de limiter économiquement la liberté de la presse en devenant petit à petit sa plus grande source de ressources par l’entremise des publicités gouvernementales.

La veille, 120 indienNEs de différentes ethnies de l’Etat de Zulia (état du nord-ouest du Venezuela, frontalier avec la Colombie) se sont rassembléEs en plein centre pour protester contre l’exploitation de charbon dans la sierra Perija. D’une part, ils/elles réclament l’arrêt de certaines exploitations illégales ou désastreuses pour l’environnement, d’autre part, ils/elles dénoncent les expropriations forcées commises par la garde nationale afin que s’ouvrent de nouvelles concessions minières. Les chavistes appellent cela "les inévitables contradictions internes au processus bolivarien" ! Une belle langue de bois pour un beau massacre, les indienNEs se retrouvant cantonnés à des zones de plus en plus restreintes à l’intérieur de la sierra.
Autre contradiction … l’année dernière, la statue de Christophe Colomb trônant au beau milieu de la plaza Venezuela fût abattue et en partie détruite par des manifestantEs soucieux de mettre en pratique la résistance indienne. Mal leur en a pris. Un certain nombre fût arrêté et croupit en prison depuis un an ! Toujours d’après les chavistes, ils n’ont pas été libérés pour ne pas mécontenter l’Espagne, un pays que Chavez se ménage comme allié dans sa lutte contre l’Empire.

Aujourd’hui, pas de débordement, pas d’activités organisées par le gouvernement à l’exception d’un marathon … Quel sens de l’humour ont les chavistes pour fêter ainsi le marathon des 500 années d’extermination indienne, du sud de la Patagonie au Mexique !

Un peu d’histoire politique du Venezuela

Tout remonte à 1989, lorsque le pays est secoué par les terribles émeutes dites du Caracazo. Ces émeutes débutent à l’aube du 27 février quand les gens qui se rendent à Caracas découvrent que les tarifs ont doublé depuis la veille. Ces hausses sont la conséquence de la mise en place d’un plan draconien exigé par le FMI. Tous les commerces sont alors pris d’assaut. La répression ne se fait pas attendre et atteindra des sommets avec le plan Avila. On comptera 3000 morts et disparus entre le 27 février et le 2 mars 1989. Il n’est pas inutile de rappeler que des responsables militaires, maintenant proches de Chavez, ont alors été mouillés dans l’organisation et l’exécution du plan Avila.

Ce massacre sonne le réveil de la population après des années de dictature et de démocratie représentative oeuvrant toutes deux à une politique néo-libérale. Chavez tente alors de récupérer la grande effervescence sociale qui suit, lors d’un coup d’état manqué en 1992. Il y parvient en 1998. C’est le début du "processus révolutionnaire bolivarien".

On devrait parler plutôt d’institutionnalisation des mouvements sociaux (et cela rappelle ce qui s’est passé avec la victoire de Mitterand en 1981). La mobilisation populaire est en effet peu à peu transformée en mobilisation électorale. Ainsi, les cercles bolivariens qui regroupent dirigeantEs communautaires et voisinEs, dans les bidonvilles, les quartier populaires et les petits villages, sont transformés en "Unités de Bataille Electorale". Le contre-argument des chavistes est connu : du coup d’état d’avril 2002 au référendum révocatoire de 2004, Chavez est resté menacé dans sa légitimité et il était impératif de gagner la bataille électorale.

Entre le discours et les actes

En attendant, le mouvement social est devenu moribond. Il est instructif de noter que les manifestations anti-guerre au début de l’invasion de l’Irak n’ont rassemblé ici que quelques milliers de personnes alors que les U$A sont quand même l’ennemi "numéro un". Il faut dire que Chavez ne s’est pas empressé de dénoncer une invasion qui a largement profité aux ventes de pétrole vénézuélien, principalement aux U$A ! L’ambassadeur américain au Venezuela n’oublie d’ailleurs jamais de rappeler qu’il ne craint pas un embargo du pétrole vénézuelien. Car à qui le Venezuela vendra ce pétrole ? C’est une des raisons pour lesquelles Chavez encourage l’intégration des pays latino-américains dans un grand marché commun centralisé. Il doit rêver que le Venezuela devienne la pompe à essence de l’Amérique Latine et qu’il se coupe de sa dépendance avec les USA. En voilà un grand projet pour le "socialisme du XXIème Siècle" (appellation officielle de la politique gouailleuse et ultra-pragmatique, pour ne pas dire à courte vue électorale, de Chavez).

Les expropriations des propriétés terriennes non productives sont aussi une belle escroquerie ! Oh, bien sûr, les nationalisations et les expropriations sont réelles. L’opposition de droite crie d’ailleurs au scandale et en appelle à la défense de la sacro-sainte propriété privée, relayée par l’ambassadeur des U$A (qui menace le Venezuela de représailles économiques). Mais elle ne devrait pas tant s’inquiéter ... Car, malgré la teneur de ses discours du dimanche à la télé, Chavez n’a pas oublié d’inscrire la propriété privée dans la toute récente constitution de la République Bolivarienne du Venezuela (adoptée en 1999, un an après son arrivée au pouvoir).

Et c’est sans parler de la mystification du Forum Social Mondial. Fer de lance de l’internationale altermondialiste largement porté par Lula, Chavez et Morales, le FSM est un échec patent quand on voit le peu de soutien qu’apportent les populations de pays comme le Brésil ou le Venezuela à leur gouvernement (revers électoraux du Parti des Travailleurs de Lula dans ses fiefs et très forte abstention au Venezuela, de l’ordre de 40%).

Tout est à faire car plus rien n’existe ici, si ce n’est un grand mouvement informe de soutien à Chavez, assujetti aux contingences électorales. D’ailleurs, on est là au cœur du processus bolivarien. Il s’agit tout d’abord de constituer un grand mouvement de masse à la base. Il faut ensuite supprimer tous les rouages intermédiaires sous prétexte de démocratie participative. La dernière étape est de contenir le tout par une présence politique importante de l’armée. Et le tour est joué, Chavez à la tête, la masse à ses pieds et l’armée comme courroie de transmission (les refontes actuelles de l’armée, permettant un contrôle opérationnel plus direct de Chavez sur les différentes armes va d’ailleurs dans ce sens). On est au cœur du populisme. Et les grands frères de Chavez s’appelaient Castro, Peron, Nasser.

Qu’est-ce que le "chavisme" ?

Le chavisme n’est pas un fait isolé dans l’histoire du Venezuela. Il reprend dans la personne de Chavez les deux mythes fondateurs du Venezuela moderne : l’armée et le métissage.

Le Venezuela comme partie de l’empire colonial espagnol s’est développé par les plantations de cacao, de café, de tabac, de canne à sucre. Comme au Brésil, la lutte pour l’indépendance du Venezuela a été avant tout l’affrontement de la bourgeoisie locale des plantations contre le pouvoir et l’administration espagnole. C’était aussi un affrontement entre la bourgeoisie créole ("blanche") et une armée pro-monarchiste de zambos (métis de noir et d’indien), de mulatos (métis de noir et de blanc), de noirs anciens esclaves, au service du pouvoir espagnol.

Bolivar le libérateur de la Grande Colombie (rassemblant le Venezuela, la Colombie, Panama et l’Equateur) s’appuya aussi sur une armée de métis. Pourtant il s’en méfia toujours, craignant leur prise du pouvoir. Car, avec les guerres d’indépendance, les militaires sont devenus des acteurs incontournables de la vie sociale vénézuelienne. Et, dans une société fortement marquée par l’esclavage et la hiérarchie raciale qui en découle, l’armée est devenue, pour les métis, le lieu d’une ascension sociale impensable jusqu’alors dans la société civile.

C’est de cette armée que Chavez devait sortir, un beau jour de 1992 pour un coup d’Etat qui marqua les débuts du processus bolivarien. Son origine militaire fait aussi de Chavez un héritier de la longue tradition des caudillos latino-américains. Il en a les attributs, mêlant populisme et charisme messianique. C’est ainsi que Chavez se revendique aussi bien de Bolivar, de Fidel Castro, de Jésus-Christ que de la longue lignée des chefs militaires métis du dix-neuvième siècle. C’est José Tomas Boves, à la tête de son armée qui lutte contre les propriétaires fonciers créoles, c’est José Antonio Paez qui s’autoproclame président du Venezuela en 1829 après avoir lutté pour l’indépendance, c’est José Tadeo Monagas qui s’appuie sur les classes populaires pour lutter contre la bourgeoisie et garder le pouvoir avant que sa dictature ne tombe en 1864, c’est Antonio Guzman Blanco qui développe le culte de la personnalité, c’est Juan Vicente Gomez qui au vingtième siècle fait du Venezuela une grande puissance pétrolière, c’est Chavez qui fonde son mouvement bolivarien révolutionnaire en 1982 pour ne pas cesser de dénoncer la corruption des gouvernements successifs et tenter par tous les moyens d’accéder au pouvoir.

Car le chavisme est aussi le résultat de la grave crise politique, sociale et économique qui secoue la démocratie vénézuélienne dans les années 80. A la chute de la dictature en 1958, les trois grands partis vénézueliens (dont l’Action Démocratique, sociale-démocrate, et la COPEI, démocrate-chrétien) scellent un pacte d’entente par peur de la propagation des guérillas communistes. Les revenus pétroliers, tombés dans l’escarcelle étatique suite aux diverses nationalisations, permettent aux gouvernements successifs de subventionner les différents secteurs économiques. Mais le début des années 80 est synonyme de baisse des exportations pétrolières et des cours (jusqu’à moins 50%). Comme partout dans le monde, à une politique d’inspiration keynésienne succède un libéralisme forcené entretenu par les injonctions du FMI. Les prix s’envolent. En février 1989 éclate le Caracazo.. La situation ne fait pourtant qu’empirer et la pauvreté touche 40% de la population au début des années 90. Suite au coup d’état de 1992, Chavez est emprisonné pour un an et devient de plus en plus populaire parmi la population des barrios. En 1993, il créé le Movimiento V República (MVR). En 1998, c’est le deuxième plus grand parti après l’Action Démocratique. Chavez est élu président en décembre 1998. Le processus révolutionnaire bolivarien devient processus de pouvoir. En 1999, une nouvelle constitution est adoptée fondant la 5ème République du Venezuela. En avril 2002, aux manifestations succèdent un coup d’état mené par la fédération des patronNEs. Encore une fois, l’armée va jouer un rôle de premier plan car ce sont des généraux dissidents, pro-chavistes qui, reprenant le pouvoir des garnisons, vont renverser en deux jours la junte nouvellement créée. En 2003, une grève générale est menée par l’opposition. Elle conduit à la tenue d’un référendum (pour ou contre la poursuite du mandat présidentiel de Chavez). Chavez le gagne à l’été 2004.

Ces évènements sont la marque du chavisme. Fortement teinté de populisme, le mouvement s’adresse d’abord aux classes populaires. Il leur parle de dignité, de reprise en main de leur quartier, de travail, de fin de la corruption et du clientélisme, de patrie et de toit pour touTEs. Jusqu’en 1998, ce discours est aussi entendu par une partie de la classe moyenne. L’effervescence sociale qui règne depuis la fin des années 80 (et dont le Caracazo est l’explosion momentanée), la lassitude du punto fijismo (l’alternance institutionnalisée au gouvernement de l’AD et de la COPEI) se satisfont de la guerre menée par Chavez contre la vieille classe politique.

On atteint d’ailleurs là une limite du chavisme. Face aux échéances électorales régulières d’une démocratie représentative, le chavisme ne manque jamais de récupérer l’effervescence sociale pour gagner les élections suivantes. Pour les élections parlementaires de décembre 2005, un parti satellite du chavisme, Podemos, va même jusqu’à identifier christianisme et socialisme. Cela pourrait passer pour une résurgence de la théologie de la libération si cela n’avait pas un arrière-goût de récupération électorale dans un pays ultra-catholique. L’intégration des mouvements sociaux dans le processus bolivarien vise avant tout la conservation du pouvoir. Elle a comme conséquence de les priver de leur autonomie, de leurs choix de lutte. Elle a comme risque la dépolitisation massive de la société vénézuelienne, fatiguée de l’électoralisme sans que rien ne change vraiment. En filigrane, on peut y voir le spectre d’une dictature qui pourrait décider une fois pour toute de ne plus s’embarrasser de ces contingences. Alors qu’on pourrait rêver d’une nouvelle construction de la société vénézuelienne loin des lieux de pouvoir.

Les mécanismes de récupération et d’intégration des mouvements sociaux sont multiples. Cela passe par leur massification, c’est-à-dire par la suppression de la hiérarchie politique existante au profit d’une relation directe entre Chavez et la masse populaire. Cette relation est d’ailleurs travaillée par Chavez chaque dimanche dans l’émission "Alo Presidente". Chavez y prend son temps (5 à 6 heures) pour exposer sa politique, développer ses critiques du processus et déclamer contre ses ennemis (les USA et leurs alliés comme le Mexique). Mais, cela passe aussi par une polarisation de la société vénézuelienne autour de Chavez. On est pour, contre ou anarchiste. Les "pour" y perdent leur autonomie. Les "contre" y passent leur énergie à hurler contre l’abominable Chavez. Les quelques anarchistes vénézueliens ne savent plus ou donner de la tête. Et Chavez arbitre le tout de haut. A ses côtés trône Bolivar. A un moment, lors des émissions dominicales, Chavez présentait à ses côtés une chaise vide, C’était la chaise de Bolivar qui veillait là au processus. A croire que les deux compagnons du Christ crucifié sur le mont Golgotha s’appelaient Bolivar et Chavez. Castro ne devait pas être loin. Il devait encore se prendre la tête avec le Che. Elle est belle la Révolution !
La révolution bolivarienne marche au pétrole !

Le Venezuela est un pays aux innombrables ressources énergétiques. Il détiendrait la plus grande réserve pétrolière connue au monde, des gisements abondants en gaz, des ressources non négligeables en charbon et un potentiel hydraulique impressionnant (et Chavez souhaite aussi développer l’énergie nucléaire par l’achat d’un réacteur à l’Argentine). Le Venezuela est aussi un des quatre grands fournisseurs en pétrole des U$A (de 10 à 15% de ses importations). Cette relation étroite avec les Etats-Unis présente deux caractéristiques essentielles. Tout d’abord, le Venezuela est fortement dépendant du marché américain. Pour diminuer cette dépendance, le gouvernement vénézuélien cherche à développer un marché intégré énergétique sud-américain et à s’allier avec la Chine (la Chine est le deuxième consommateur mondial de pétrole après les U$A et avant le Japon). Mais, pour autant que cela contrarie leurs intérêts, les U$A ne peuvent pas se risquer à menacer la stabilité de la région par une invasion. Beaucoup craignent que cet équilibre entre le Venezuela et les Etats-Unis ne conduise finalement à un engrenage fatal. En effet, d’un côté, le Venezuela serait tenté d’organiser l’embargo pétrolier des U$A. De l’autre, l’Amérique pourrait envisager de faire tomber par la force le gouvernement chaviste, ce qui ne serait pas une nouveauté en Amérique Latine.

Mais que penser alors des accords pétroliers entre l’Etat vénézuélien et des majors pétrolières américaines comme Chevron Texaco, Exxon Mobil ou Conoco Phillip ? Comment Chavez peut-il d’un côté dénoncer les U$A, Bush, la CIA, les multinationales du pétrole et de l’autre développer et renforcer sa politique de coopération économique avec les Etats-Unis ? Le jeu guerrier n’est-il pas avant tout une façade destinée à faire bonne mesure face aux opinions publiques ? Et puis, les rumeurs d’affrontement ne sont pas dénuées d’intérêt pour les gouvernements des deux pays. Elles justifient encore et toujours la militarisation. Courant 2005, Chavez a ainsi enclenché le premier degré de la mobilisation d’un million de réservistes en prévision d’une éventuelle invasion. Et 100.000 kalachnikovs ont été achetées à la Russie pour armer le peuple. Et bien, au moins sait-on où finit une partie de la rente pétrolière dans un pays où 40% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Cependant, pour l’instant, l’affrontement se situe essentiellement sur le terrain économique. Début 2005, les chefs d’État du Venezuela, du Brésil et de l’Argentine ont annoncé la création d’une entreprise pétrolière commune, Petrosur. Elle aurait comme premiers objectifs l’exploration de gaz et de pétrole en Argentine, la construction d’une raffinerie dans le nord du Brésil pour traiter le pétrole vénézuélien, et l’exploration pétrolière dans le bassin de l’Orénoque au Venezuela. Pour Chavez, Petrosur, et ses équivalents caribéen, Petrocaribe, et andin, Petroandina, doivent être au cœur de l’intégration politique et économique latino-américaine. Il veut faire du pétrole un outil du socialisme du XXIème Siècle, une monnaie "d’échange équitable", à l’image de ce qui est réalisé actuellement avec les médecins cubains qui viennent exercer au Venezuela contre du pétrole.

Mais ce schéma suit aussi le modèle de la communauté européenne qui s’est développée autour d’un marché commun du charbon et de l’acier. Et là, on retrouve les autres enjeux, beaucoup plus obscurs, de l’intégration à grande échelle du capital : constitution d’un marché unique permettant le développement d’une économie compétitive à l’échelle mondiale, accroissement de la concurrence au sein du marché intégré, flexibilité et mobilité du travail, nivellement des salaires par le bas, normalisation de tous les aspects de la vie quotidienne, renforcement mutuel des politiques répressives. Mais où est donc passé le projet socialiste ?

Le pétrole n’est pas qu’une arme géopolitique, il est aussi le garant de la paix sociale au Venezuela. A elle seule, l’activité pétrolière représente la moitié des recettes fiscales et un tiers du produit intérieur brut. C’est le pétrole qui achète le soutien de la population vénézuélienne à coups de programmes sociaux de grande ampleur (les missions), d’augmentations de salaire des fonctionnaires, de campagnes médiatiques, de nouvelles infrastructures. Mais pour pouvoir entretenir le processus, il faut toujours plus de rentrées financières. C’est ce qui a motivé l’augmentation de la redevance pétrolière des entreprises pétrolières opérant au Venezuela. C’est aussi ce qui a justifié la création du statut d’entreprise mixte : toute entreprise étrangère opérant au Venezuela doit former une entreprise mixte avec le gouvernement. La part étrangère est de 49%, les 51% restant allant à l’Etat. Augmenter le taux de captation des revenus pétroliers est aussi à l’origine du renforcement du contrôle de l’exécutif politique sur PDVSA, l’entreprise pétrolière nationale. Cette décision fut d’ailleurs le déclencheur du coup d’Etat avorté de février 2002. En décembre de cette année, l’opposition utilise de nouveau PDVSA pour tenter de faire chuter Chavez : le 6 décembre, les patrons, les capitaines de tanker, les cadres et les administratifs de PDVSA entament une grève générale. Elle est suivie de sabotages des systèmes informatiques et techniques. Après 60 jours de lock-out, le mouvement se termine grâce à la mobilisation de la population vénézuélienne, des ouvrierEs et technicienNEs de PDVSA. Cela aura quand même des conséquences importantes pour l’économie vénézuélienne avec une chute de la production à 200.000 barils contre 3 millions avant la grève. La situation est récupérée au prix d’un grand nettoyage de l’entreprise (18.000 licenciements sur un total de 42.000, dont 80% de cadres) et d’une reprise en main politique de la direction (le ministre actuel de l’énergie est aussi le président de PDVSA).

Encore une fois, le discours chaviste est multiple et non dénué de contradictions. Au premier abord, la maîtrise et la distribution de la rente pétrolière ont comme objectif une meilleure répartition des richesses en direction des classes les plus basses (certains parlent même de socialisation de la rente). Mais on retrouve là surtout les vieilles recettes keynésiennes employées après la Deuxième Guerre mondiale en occident. Elles sont destinées à pacifier la société vénézuélienne, à réduire "le gouffre social" qui sépare riches et pauvres, à diminuer les tensions qui pourraient porter préjudice au développement économique et industriel du Venezuela.

Ce développement est un objectif prioritaire pour Chavez. Et il est mené malgré le coût social et environnemental pour les populations situées sur les territoires concernés par les nouveaux projets d’exploitation minière, gazière ou pétrolifère. Dans un cercle vicieux, le pétrole est à la fois la source principale de revenus pour le pays et la cause de la plupart de ses maux. Il entretient et renforce une dépendance économique qui pourrait s’avérer désastreuse avec l’épuisement des ressources fossiles d’ici 30 ans. Il justifie un partage de la propriété des exploitations au sein d’entreprises mixtes. Jusqu’à maintenant, le pétrole était une ressource nationale exploitée sous licence par des compagnies multinationales. Avec les entreprises mixtes, ces compagnies vont pouvoir détenir jusqu’à 49%. C’est un pas conséquent vers la privatisation des ressources pétrolières du Venezuela ! La question de la nationalisation ou de la privatisation n’est pas franchement intéressante en elle-même. L’écart entre le discours officiel ultra-nationaliste et la pratique gouvernementale l’est beaucoup plus. Mais c’est certainement la non-réaction des syndicats qui est la plus parlante. L’institutionnalisation des mouvements sociaux est devenue telle qu’ils ne réagissent même plus au démantèlement de ce qui a constitué pour eux, pendant des décennies, le symbole de la souveraineté vénézuélienne. La seule mobilisation qui vaille maintenant à leurs yeux est électorale.

Le pétrole est à la base d’un modèle de développement basé sur les progrès conjoints de l’industrie lourde, de la production de produits manufacturés et de l’agriculture intensive. Les ravages de ce modèle de croissance sont pourtant connus depuis longtemps. Mais qui s’en préoccupe quand la rente pétrolière fait miroiter la perspective de gains à court terme ? Car le pétrole est aussi la manne qui permet de développer le clientélisme électoral de Chavez. Comme me disait un français, les yeux embués d’une émotion toute révolutionnaire, et qui travaille ici dans un ministère : "le pays ne va pas changer du jour au lendemain. Il faudra au moins 20 ans à Chavez". Et comment Chavez va faire pour se maintenir pendant vingt ans au pouvoir, sans perdre une seule élection ? La solution est éculée : bourrage des urnes et achat des votes. Et viva la pétrodémocracia chavista !

Le Forum Social Alternatif

L’année 2006 commence avec le Forum Social Alternatif, ses ultimes préparatifs, puis sa tenue même. Cet évènement se veut l’alternative des anarchistes et de la gauche anti-autoritaire au Forum Social Mondial qui se tient durant la même semaine. La forme du FSA est proche de celle du FSM : conférences et ateliers sur plusieurs lieux. Mais son financement n’a rien de comparable. Au contraire du FSM, il n’a pas le soutien de l’Etat vénézuélien, de l’armée pour les derniers préparatifs logistiques ou de PDVSA pour l’organisation d’une partie des activités. Il est d’ailleurs pour le moins étrange qu’une compagnie pétrolière subventionne un FSM qui prétend défendre l’environnement et le droit des populations à ne pas être déplacées au gré des intérêts industriels. L’affluence du FSA est aussi bien moindre que celle du FSM mais les lieux prévus, petits, font le plein. Et c’est là pour nous l’essentiel. On compte ainsi que deux cents à trois cents personnes sont passées au FSA chaque jour.

Si le FSA a été un succès de politique extérieure – il trouve un écho dans de nombreux médias nationaux et internationaux et il aurait même été critiqué par Chavez comme une tentative de plus de l’opposition pour se faire entendre – son organisation a posé quelques problèmes.

D’une part, c’était la première fois qu’un tel évènement était organisé de manière autogérée au Venezuela. D’autre part, les marxistes associés au FSA ont brillé par leur absence, désertant le terrain dès qu’il était question de faire à manger ou d’accueillir les genTEs. Ce sont donc essentiellement les anarchistes de la CRA qui se sont retrouvés à tout faire. Et comme la CRA ne compte que cinq ou six personnes réellement actives, l’organisation au quotidien du FSA s’est retrouvée sur les épaules de très peu de personnes. Il y eut notamment à gérer quelques conflits entre les personnes invitées à participer au FSA et qui étaient hébergées sur les lieux mêmes des ateliers du forum. Cela ne s’est pas toujours passé pour le mieux, du fait de l’inexpérience de la CRA, des différences culturelles et des touristes révolutionnaires, venuEs là plus pour la plage que pour participer au FSA.

Et puis, peut-être encore plus dommage, le FSA n’a rencontré qu’un très faible écho au niveau des groupes libertaires ou d’extrême-gauche vénézuéliens. Certains ont fait les morts, d’autres se sont dissociés du FSA au dernier moment quand ils ne l’ont pas critiqué directement comme évènement petit-bourgeois. La preuve est une nouvelle fois faite que, hors du chavisme, il n’existe actuellement aucune alternative viable qui ne soit pas à la botte de l’opposition ou qui rassemble plus de 15 anarchistes !
Pour ma part, j’ai passé une semaine derrière la table de distribution de la CRA et du FSA, à voir défiler des punks colombienNEs, brésilienNEs, des anarchistes équatorienNEs, cubainEs en exil, des gringos venus au FSM et venus voir ce qui se passait au FSA ...

Il est important de noter que le FSA a été un évènement entièrement autogéré. Ses revenus provenaient de donations, de la vente de matériel de soutien, de la participation volontaire de personnes assistant au FSA. En plus de la propagande, ils ont permis de nourrir chaque jour la cinquantaine de personnes participant aux ateliers du forum. Quelques bénéfices ont même pu être dégagés ... Ils ont été utilisés depuis pour la sortie du nouveau numéro d’El Libertario.

Pour plus d’informations sur ce qu’a été le FSA, le mieux est d’aller voir son site : www.fsa.contrapoder.org.ve. Il s’y trouve notamment l’intégralité des articles publiés dans Alterforo, le journal que nous avons sorti pour le FSA.

Pour finir, le chavisme n’a pas grand-chose d’une révolution, ce processus de changement n’est pas ce que veut faire croire la gauche européenne : le renouveau de la lutte contre l’empire. Comme je le dis par ailleurs, le chavisme n’est pas un avatar supplémentaire des mouvements révolutionnaires. C’est le produit de l’histoire vénézuelienne, traversée de luttes violentes entre classes et marquée par ses fondations raciales. L’armée y joue le rôle de premier plan qu’elle a toujours eu depuis les guerres civiles d’indépendance. Son rôle révolutionnaire fût d’ailleurs théorisé par un chef de la guérilla, Douglas Bravo, dont certains affirment qu’il fût le maître à penser de Chavez. Ce rôle est double. D’une part, elle doit être le sein de foyers révolutionnaires qui une fois affirmés s’étendront à la société civile. D’autre part, le peuple étant considéré comme une masse informe, l’armée est considérée comme l’alliée privilégiée du "caudillo" pour qu’il puisse exercer son pouvoir. La révolution "civico-militaire" fait de la démocratie une farce entre un chef et le peuple amorphe encadré par une armée omniprésente. Cette révolution est aussi viscéralement anti-impérialiste, c’est-à-dire par un subtil glissement, essentiellement anti-américaine. Elle appelle à la lutte mondiale contre l’empire américain. Cette révolution utilise le pétrole comme une arme redoutable, mais à double tranchant quand on sait que les Etats-Unis restent le principal débouché des pays pétroliers. Et au-delà des grandes manœuvres géopolitiques, il y a le quotidien des populations soumises aux impératifs de développement pétrolier, polluées par les installations, déplacées lorsqu’elles sont sur de nouveaux gisements, exploitées par les multinationales de l’énergie. Ogre dévorant ses enfants, le pétrole finance les programmes sociaux et écologiques qui deviennent nécessaires du fait des conséquences même de l’industrie pétrolière … Et il se passe la même chose avec le charbon dans l’Etat de Zulia ou avec les ressources minières ou forestières dans les régions guyanaises et amazoniennes.

Ce texte est adapté du journal de bord tenu sur son site web par Nico, anarchiste grenoblois qui a vécu un an au Venezuela. Merci à lui ! Texte original : www.maspoesia.contrapoder.org.ve

Sur le mouvement libertaire vénézuélien :
 El Libertario, journal de la Comision de Relaciones anarquistas : http://www.nodo50.org/ellibertario
 Centro de Estudios Sociales Libertarios : http://www.centrosocial.contrapoder...
 Cruz Negra Anarquista : http://contrapoder.org.ve/carcelesno.htm
 Ateneo Libertario Autonomo : http://www.contrapoder.org.ve/angry...
 Apatia No : www.geocities.com/apatiano
 Los Dolares : www.losdolares.cjb.net
 et bientôt sûrement Indymedia Venezuela !

titre documents joints

  • info document (PDF - 198.9 kio)

    Version PDF téléchargeable de la brochure "Les réalités du chavisme vues par un anarchiste"