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Fichage ADN : un pas de plus vers le flicage total

vendredi 8 décembre 2006


Procès de militantEs et refus de prélèvement

Avec les procès de Bernard Coquelle ou de Benjamin Deceuninck pour avoir refuser le prélèvement ADN après une première condamnation pour fauchage d’OGM, on parle de plus en plus du fichage génétique. Au delà des faucheurs/ses, ce sont des militant-e-s anti CPE, anti pub, etc. qui ont eu droit à cette double peine, l’un des premiers dans cette liste ayant été Charles Hoareau de la CGT chômeurs de Marseille. Cependant, il ne faudrait pas voir le fichage génétique comme une arme contre les seulEs militantEs. Ce sont en effet les ’’classes dangereuses’’, c’est-à-dire les pauvres qui sont, comme d’habitude, les véritables cibles. Un simple vol, une fraude répétée dans les transports en commun peut entraîner en plus d’une condamnation au prélèvement génétique. De plus en plus, les flics prélèvent l’ADN sur les lieux où des problèmes se sont posés, il faut bien alors comparer avec celui des ’’populations à risque’’. Ainsi, 1 230 traces d’ADN ont été relevées lors de la révolte des quartiers populaires de l’hiver 2005 et on se souvient de la ridicule affaire de l’ADN des pizzas abandonnées près de l’endroit où un flic s’est fait tabasser aux Tarterêts).

En plus du soutien on ne peut plus légitime aux militant-e-s doublement condamnés (voire multiplement car chaque procès pour refus a un coup qui plombe considérablement les comptes des individuEs et des organisations), il ne faudrait pas oublier les anonymes, celles et ceux qui n’auront jamais de comité de soutien, qui n’auront jamais un José Bové de service, celleux qu’on veut un peu plus enfoncer dans la misère et le silence. Ainsi, Chloé, déjà condamnée pour vole a l’étalage et rébellion passe en procès début janvier à Rennes pour avoir refusé de donner son ADN.

Du flicage généralisé au flic dans la tête

L’introduction du fichage ADN est à mettre en parallèle avec toutes les mesures de surveillance (vigipirate, généralisation de la vidéo surveillance, etc.). On peut résumer l’aggravation des techniques de contrôle comme le fait Meryem Marzouki, présidente de l’association Iris (protection des libertés dans l’usage d’Internet) : "Le principe est simple : on profite d’un contexte émotionnel fort (attentat terroriste, meurtres en série) pour créer un fichier. Une fois l’instrument en place, il suffit d’étendre sa finalité par petites touches. L’opinion est plus sensible à la victime qu’au citoyen....’’ Peu à peu, dans l’indifférence générale, les outils de contrôle sont maintenus et généralisés à presque touTEs. Ainsi le FNAEG (fichier national automatisé des empreintes génétiques) grossit à très vive allure ( 2 100 références en 2002, 40 000 en 2004, 283 000 en 2006 !). Loin des violeurs ou tueurs en série initiaux, on fiche celles et ceux qui ont commis presque tous les délits possibles et imaginables (sauf, ô surprise, les délits financiers !) et même celleux qui sont simplement suspectés (163 000, soit plus de 57% du FNAEG). Cela ne suffit pas encore à nos chères autorités qui veulent rattraper la Grande Bretagne et ses 5 millions de profils enregistrés soit 5% de la population britannique. Outre Manche, on a ainsi vu deux enfants de 12 ans fichés génétiquement pour s’être simplement amusés dans un arbre et avoir cassé une ou deux branches !

Évidemment ; le fichage génétique s’inscrit dans la vaste opération de flicage généralisée qui s’abat sur le monde. D’ailleurs les lois liberticides que sont la LSQ de la gauche plurielle puis la LSI de Sarkozy comportent leur volant prélèvement d’ADN. Désormais, tout est ’’fichable’’ sans même avoir commis un délit. Ainsi le fichier ELOI comptabilisera les sans-papierEs en attente d’expulsion mais aussi celleux qui leur ont rendu visite en centre de rétention (des ’’passeurs/ses potentiels’’ ?). Sur la nouvelle carte d’identité, les empreintes digitales (avant les traces ADN ?) seront obligatoires... On l’a vu, le processus de généralisation est toujours le même. Nous ne sommes désormais plus surpris de croiser un flic ou un bidasse à chaque coin de rue, une caméra à tout bout de champs... On nous conditionne désormais pour trouver normal le fichage génétique ou non. Et puis, c’est bien connu, « on n’a rien à se reprocher, nous ! ». Pourtant c’est bien vers la normalisation et l’intériorisation du contrôle que toutes ces mesures liberticides convergent. En effet, malgré toute la technologie mise en oeuvre, le traitement des données ne peut se faire qu’a posteriori et pas en temps réel. L’objectif est donc bien de créer la peur, l’auto censure y compris dans des actions légales de lutte ou de solidarité (Cf fichier ELOI), de ficher toutes les populations, bref de se créer son propre flic dans la tête.

Vive l’arbitraire

Face à ce délire sécuritaire, on se trouve bien dépourvu, d’autant que, pour le FNAEG, les empreintes sont conservées pendant 40 ans. C’est pourtant là le rôle de la CNIL que de garantir les libertés individuelles, mais depuis 2004, elle n’est plus que consultative. D’ailleurs, quand elle émet des avis défavorables, ’’le gouvernement s’assoit dessus’’ comme le reconnaît l’avocat de la LDH. ". Au schéma de mise en place d’un fichage généralisé, il faut donc aussi ajouter la destruction progressive des organismes de contrôle des contrôleurs/ses comme on l’a vu avec la CNIL. Ils ne sont que des joujoux initiaux pour rassurer le bourgeois démocrate. Une fois le flicage normalisé, l’État peut les évacuer pépère.

Pour autant, malgré la prétendue scientificité du dispositif de fichage ADN, il existe de réels risques de dérive. Des risques d’erreur, d’abord. Non seulement une personne peut se trouver à tort sur le fichier, mais une trace d’ADN sur la scène d’un crime peut être trompeuse. Un criminel ne peut-il être porteur de l’ADN des personnes dont il a serré la main dans la journée ?"En effet, répond F. Péchenard. Tout comme les empreintes digitales, l’ADN est un élément de l’enquête, jamais une preuve suffisante. L’important, c’est l’interprétation que l’on peut en faire." J-P Jean, magistrat pénaliste, n’est pas si optimiste : "L’infaillibilité scientifique de l’ADN impressionne fortement les jurés d’assises, et parfois à tort."

Entre délire scientiste et privatisation du vivant

Ce fichage généralisé, on le voit privilégie, pour le moment, une certaine catégorie de population. Au total, l’État veut faire passer les inégalités de classes et les possibles révoltes qui peuvent s’en suivre pour une sorte de maladie dans laquelle les oppressions multiples dont sont victimes les classes populaires n’auraient aucun rôle. Ainsi, en Angleterre, Tony Blair relance l’une de ses croisades favorites : contre "les comportements antisociaux" et les incivilités. Pour cela il a préconisé de contrôler les adolescentes enceintes pour que leurs futurs enfants ne deviennent pas "une menace pour la société". Ainsi pendant leur grossesse, ces jeunes femmes pourraient être contraintes d’accepter l’appui et les conseils de l’État. Bref, on glisse joyeusement vers le déterminisme génétique. On voit ce que pourrait donner le fichage génétique quand il est couplé à des extrapolations statistiques visant à quantifier les ’’comportements déviants’’. C’est dans cette même logique que le rapport Bénisti (inspirateur de la loi Sarkozy de prévention de la délinquance) prédéfinissait les stigmates de la délinquance en fonction du comportement dès l’âge de trois ans en donnant comme circonstances aggravantes les origines étrangères (l’usage d’une autre langue que le français à la maison prédisposant à des comportements asociaux).

Le délire sécuritaire a aussi permis de créer un marché juteux. Alain Bauer, chantre de cette idéologie, potes du PS et ex chef d’une loge franc-maçonne, s’est largement rempli les poches avec sa société AB Associate pour vendre des Contrats Locaux de Sécurité clés en mains aux mairies avec de beaux logiciels de quantification-invention des "incivilités en tout genre’’. Le prélèvement ADN, délégué à des entreprises privées pour environs 500 euros le fichage va encore renforcer les possibilités de ce marché.

Enfin, que vont devenir les empreintes puisqu’elles sont stockées entre 25 et 40 ans, soit largement le temps de remanier la législation ? Contrairement aux empreintes digitales, l’ADN contient une masse d’informations qui dit presque tout de nous. On peut connaître ainsi le groupe ethnique, les maladies congénitales, la séro-positivité, etc. On imagine que des employeurs/ses, des compagnies d’assurance, etc. sont avides d’accéder à ce type d’information. On nous garantie que la loi empêche cela, mais comme on l’a vu, la loi varie. D’ailleurs, un État américain a déjà vendu à une compagnie d’assurance ses prélèvement génétiques. Cette vente n’était qu’une oeuvre de charité bien entendue et il n’y a aucun risque d’utilisation de ce fichier par la dite compagnie. Ah, ce qu’on est rassuré. On le sera tout autant quand on organisera de grandes foires à l’ADN pour financer les anti dé presseurs d’une population flippée d’être fliquée.

Aujourd’hui, nous ne pouvons que soutenir et participer à la solidarité collective auprès des personnes qui refusent le prélèvement ADN et pas seulement les militantEs. Au delà, c’est contre tout le système sécuritaire qu’il convient de se battre. Rappelons-le, ce contrôle généralisé n’a qu’un but, étouffer toute velléité de révolte contre les oppressions de toute sorte et en particulier celles de l’État et du capitalisme. Cependant, c’est aussi aux racines de cette exploitation et de la misère qu’elle génère qu’il faut s’attaquer sous peine de se battre contre le vent. Pour sortir de la misère et du flicage, c’est tout le système qu’il faut détruire. Seule alors une révolution d’organisation libertaire permettra d’assurer l’égalité économique et sociale tout en évitant de créer un nouveau totalitarisme.

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