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L’Union européenne : la mondialisation à l’échelle continentale

novembre 2001


Commentant le prochain sommet européen à Bruxelles les 13 et 14 décembre 2001, M. Cohn-Bendit met en garde contre tout amalgame entre le G8 et l’Union européenne. Plus fort encore, M. Jospin souhaite que l’Union européenne soit un rempart contre la mondialisation. Est-ce qu’ils et elles se sont trompé-e-s de cible, ces manifestant-e-s anti-mondialisation qui ont défilé dans les rues de Nice et Göteborg à l’occasion des derniers sommets européens ? Quel est le véritable caractère de l’Union européenne ? Comment juger sa politique économique ? Quelle est la réalité de la disparition des contrôles aux postes frontières et quelle est celle de « l’ouverture » des frontières intérieures ?

Le début de l’unification européenne est marqué par la fondation de plusieurs communautés. La première a été - et c’est tout à fait intéressant - une alliance militaire : l’Union occidentale (1948), qui intégrera en 1950 l’O.T.A.N. On est alors assez éloigné de l’image civile et pacifique que se donne aujourd’hui « l’Europe des 15 ».

Le deuxième acte fut d’ordre économique : le 18 avril 1951 naît la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (C.E.C.A.), en 1957. Suivent Euratom et la Communauté économique européenne (C.E.E.).

La primauté de l’économie restera le fil rouge de l’unification européenne : c’est après la création du Marché commun que se constitue le Parlement européen (1958), qui fut plutôt la caricature d’un parlement : sans légitimité, car non issu du suffrage universel ; sans pouvoir, car dépourvu des droits classiques d’un parlement, dont l’élection de la tête de l’exécutif et le vote du budget.

En effet, ce n’est que depuis 1980 que les citoyen-ne-s européen-ne-s ont le droit d’élire les député-e-s européen-ne-s. Les pouvoirs du parlement ont par contre peu évolué depuis 1958. Les vrais centres du pouvoir restent les gouvernements nationaux et dans une moindre mesure la Commission européenne.
Très rapidement, les gouvernements nationaux se sont rendus compte, que « l’Europe » est l’outil idéal pour faire passer des mesures impopulaires. Il est plus facile de « regretter » d’être obligé d’appliquer telle ou telle directive européenne, que de faire voter le même texte dans un parlement national. Il s’agit évidemment d’une grande duperie : soit ces mêmes directives ont été adoptées avant par les conseils qui rassemblent l’ensemble des gouvernements des Etats membres, soit ces mêmes conseils ont décidé de transférer la compétence en question à Bruxelles.

Par exemple, depuis 1982, la Commission européenne décide seule en matière de privatisations de services publics. Ce transfert de compétence libère les gouvernements nationaux d’un sujet potentiellement explosif. De plus il rend pratiquement irréversible le mouvement de privatisations. Néanmoins, il suffit de taper fortement sur la table pour que ces directives prétendues impératives ne soient pas appliques : après la grève générale de 1995, la France a gelé les tentatives de privatiser la S.N.C.F., ce qui prouve que les gouvernements nationaux bénéficient encore d’une très grande marge politique.

Une bureaucratie bien utile

Si les gouvernements nationaux ont tout intérêt à « délocaliser » vers Bruxelles les décisions chaudes, notamment la politique économique, c’est parce que les instances européennes bénéficient d’une bien plus grande indépendance de l’opinion publique. Les commissaires européens ne sont pas élus par les citoyen-ne-s des 15 pays membres, ni même par le parlement européen, mais désignés par les gouvernements nationaux.

Il est assez révélateur que les représentants des trois niveaux du pouvoir qui ont la plus grande prise sur la politique économique - l’Europe, les régions et les structures intercommunales - ne sont pas issues du suffrage universel, ne doivent donc pas de comptes à la population. Ceci est également le cas de la nouvelle Banque centrale européenne (B.C.E.). Elle agit dans la plus totale indépendance - on pourrait aussi dire : sans le moindre contrôle politique - et prône depuis sa création un véritable intégrisme de la stabilité monétaire, qui se distingue clairement du pragmatisme de la Fed américaine. Il est de toutes façons trompeur d’opposer un capitalisme à visage humain européen au capitalisme sauvage américain. Dans les organismes internationaux comme la Banque mondiale et le F.M.I., dans les négociations de l’O.M.C., les positions européennes et américaines concernant les dettes de pays du sud sont pratiquement identiques. Les désaccords entre Européens et Américains sont fonction de conflits d’intérêts économiques : les Européens cherchent à protéger leur industrie aéronautique, les Américains leurs éleveurs de bœuf, et réciproquement.

Mais Européens et Américains se retrouvent bien souvent unis, lorsqu’il s’agit de plumer les pays pauvres. Ainsi, le compromis proposé par l’Europe des 15 pendant les négociations à Qatar sur l’accès des pays du sud aux médicaments brevetés n’a pas été franchement plus généreux que la formule avancée par les Etats-Unis. Et si l’Europe se paye parfois le luxe de se positionner de manière plus souple sur le principe du libre-échange, c’est parce qu’elle sait qu’elle peut toujours compter sur une position plus ferme des U.S.A.
Dans cette logique, l’unification européenne est surtout le cadre qui devrait permettre aux pays des 15 de s’imposer comme puissance économique mondiale sur les marchés, à armes égales avec les USA et le Japon.

Mise en place de l’Europe forteresse

L’Europe des 15, ce serait aussi l’ouverture des frontières internes, la disparition de contrôles frontaliers. Malheureusement, cette « ouverture » est plus réelle pour les biens que pour les êtres humains. Le démontage des postes frontières entre les pays membres a été accompagné d’un renforcement féroce des contrôles aux frontières extérieures de l’Union, qui sont devenues pratiquement infranchissables légalement pour les ressortissants de pays pauvres (à l’exception évidemment de politiciens, hommes d’affaires ...).

Carte de séjour pour les résident-e-s européen-ne-s

De plus, les contrôles de frontières intérieures n’ont pas du tout disparu, ils sont seulement moins visibles, mais plus efficaces : les douaniers peuvent maintenant intervenir dans une zone de 20 km de la frontière avec les pays voisins et des gares, ports et aéroports internationaux. Et ils utilisent fréquemment ce droit,
notamment aux Pays-Bas.

Quant aux citoyen-ne-s d’Europe, leur liberté d’installation dans n’importe quel pays des 15 est un mythe. En effet, les étrangers ressortissants de l’Union européenne doivent toujours obtenir une carte de séjour et doivent justifier de ressources supérieures au R.M.I. du pays d’accueil. Ils restent toujours menacés d’expulsion administrative pour atteinte à l’ordre public. Il y a déjà eu des Espagnols expulsés de France, des Italiens d’Allemagne !

Les quelques acquis de l’unification européenne en matière d’émancipation des femmes (maisons d’accueil pour femmes maltraitées obligatoires dans les communes de plus de 10 000 habitants, etc.), le renforcement des droits de l’individu face à l’État grâce à la Cour européenne des Droits de l’Homme, ne peuvent pas faire oublier le caractère autoritaire et bureaucratique de l’unification européenne.

Systématiquement, les citoyen-nes de pays membres se trouvent totalement exclu-e-s de toute prise de décision, notamment en matière de politique économique. L’Europe des 15 ne se donne même pas l’apparence d’une légitimité démocratique. Le grand « acquis » de l’unification - l’ouverture des frontières internes - est plus imaginaire que réel. Pour répondre à M. Cohn-Bendit et M. Jospin : L’Union européenne, c’est la mondialisation à l’échelle européenne !

Martin, groupe de la métropole lilloise de la F.A.

Cet article résume la brochure La Construction européenne ou le Nouveau visage de la barbarie capitaliste et étatiste, du groupe Lucia Saornil de la F.A.