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pas de trêve pour les Sans Papier-e-s

mardi 5 juin 2007


Une fois de plus, la campagne électorale n’a pas offert le moindre espoir aux centaines de milliers de personnes qui attendent la régularisation de leur situation sur le territoire français. La seule différence entre les candidat-e-s : plus ou moins d’"humanité" dans le traitement des dossiers au cas par cas.

Sous la gauche...

En 1997, sous la pression d’un mouvement fort suite aux mobilisations massives de soutien aux sans-papier-e-s lancées par les occupations des églises Saint Bernard et Saint Ambroise, Lionel Jospin avait promis une régularisation globale. Il n’appliquera pas cette promesse : le Ministre de l’Intérieur Chevènement proposera une régularisation sur la base de dix critères. Plus de 160.000 dossiers sont déposés, et à peine la moitié font l’objet d’une régularisation. L’arbitraire règne en maître dans l’application de ces critères et on se rend bien vite compte que les préfectures et le ministère, de droite comme de gauche, ne comprennent qu’une chose : le rapport de force. Ainsi le comité des sans-papiers du Nord (CSP59) mènera 7 grèves de la faim sous les gouvernements Jospin, toutes aboutissant à des accords de régularisation plus ou moins favorables.

Sous la droite...

Depuis 2002 la législation sur l’entrée et le séjour des étranger-e-s en France a reçu un grand coup de balai avec la loi CESEDA promue par le gouvernement, et les nombreuses circulaires d’application qui ont été publiées. Parmi celles-ci, certaines invitaient les flics à contrôler les personnes présentant "des signes extérieurs d’extranéité" (!), d’autres leur conseillaient de faire des contrôles près des lieux où l’on trouvait beaucoup d’étranger-e-s (foyers de travailleurs, etc.), ou encore à convoquer les demandeurs pour un rendez-vous en préfecture qui se transformait en arrestation-surprise. On n’oublie pas non plus que l’obsession était du faire du chiffre en matière d’expulsions : il fallait annoncer un nombre d’expulsions pour l’année et y parvenir précisément. Inutile de dire qu’un traitement "juste" des dossiers au cas par cas s’accommode mal de cette logique comptable.

Il s’agissait pour la droite et pour le Ministre en campagne de se donner une image d’homme d’action, celui qui règle les problèmes. Pour ce qui est de l’action nous avons été gâté-e-s, mais pour les résultats... Il suffit d’observer la situation dans le Calaisis. La fermeture du camp de Sangatte, orchestrée devant les caméras le 30 décembre 2002, n’a en rien réglé les choses : aujourd’hui plusieurs centaines de personnes errent quotidiennement dans Calais et ses alentours, vivant dans des conditions effroyables en attendant un hypothétique passage de l’autre côté de la Manche. La situation à Calais est à l’aune de l’ensemble des politiques répressives menées contre les sans-papier-e-s depuis des années. On fait semblant de régler le problème en régularisant quelques milliers de personnes et en annonçant une "grande fermeté", alors qu’on sait bien que les centaines de milliers de personnes restées sur le carreau sont toujours sur le territoire. Et elles sont bien utiles ! La compétitivité de l’industrie nationale en dépend ! Combien de personnes travaillent sans droit ni titre dans les exploitations agricoles, sur les chantiers, dans des ateliers clandestins ? Nos cher-e-s dirigeant-e-s le savent bien, le patronat adore cette main d’oeuvre qui trime sans demander son reste, sans couverture sociale, sans heures sup’, sans syndicat, qu’on peut virer du jour au lendemain. Il en faudra des réformes du droit du travail avant de parvenir à trouver des travailleur-euse-s à des tarifs aussi avantageux !

Les sans-papier-e-s en campagne

Toutes les mesures prises entre 2002 et 2007 ne l’ont pas été d’un seul coup, et leur avancée a été le résultat d’une gradation suivant le cours des (non-)réactions de l’opinion. Ainsi la mobilisation du Réseau Education Sans Frontières et la médiatisation de ses actions ont offert un sursis pour de nombreuses familles sans papiers. Mais la faiblesse du soutien aux sans-papier-e-s a permis de laisser le champ libre à ceux qui aiment se réclamer d’une "droite décomplexée", et la pression à l’ouverture de la campagne électorale était telle que l’on a à peine entendu quelques discours humanitaires. On avait jusqu’ici coutume de considérer que les périodes pré-électorales étaient favorables aux sans-papier-e-s : ne voulant pas risquer de scandale exploitable médiatiquement, les autorités se faisaient plus coulantes. Ce n’est pas le message qu’ont envoyé Sarkozy et son remplaçant Baroin pendant les dernières semaines de campagne : nombreuses expulsions de parents d’enfants scolarisés dans le XXème arrondissement, l’affaire de l’école de la rue Rampal, répression d’enseignants militants du RESF dans les Bouches-du-Rhône et ailleurs, procès contre des militant-e-s anti-expulsion, rafles sur les lieux de distribution des Restos du coeur... Parmi les expulsé-e-s des dernières semaines, beaucoup avaient déposé des dossiers de demande de régularisation car illes entraient dans les critères définis par la circulaire Sarkozy de juin 2006. Certain-e-s ont été arrêté-e-s dans des ateliers clandestins, mais croyez-vous que ces patrons esclavagistes ont été inquiétés ? Pas le moins du monde...
En face, au PS, le vide sidéral : on était à peine étonné-e que Ségolène Royal ne réplique même pas quand, lors du débat télévisé, Nicolas Sarkozy lui dit que "puisque nous sommes d’accord sur l’immigration, passons à un autre sujet" ! Du bout des lèvres (la question des sans-papier-e-s était la toute dernière abordée dans le "pacte présidentiel" du PS), on comprenait qu’on nous proposait une régularisation au cas par cas en fonction de critères de durée de résidence (10 ans), d’enfants scolarisés, etc. : autrement dit, plus d’humanité dans l’expulsion.

Bref, la position du PS consistait à faire comme Sarkozy mais plus soft, comme dans tous les autres domaines finalement. C’est ainsi que le débat politique institutionnel s’est droitisé à une sacrée vitesse ces derniers temps : pour éviter le retour du méchant Le Pen, Sarkozy lui pique ses thématiques et ses idées, et comme c’est lui qui fait toute l’animation de la campagne, les autres le suivent à la trace en à peine moins violent. Le raid policier sur l’école maternelle de la rue Rampal suscite l’indignation, mais pas de proposition alternative. Le terme d’immigration choisie, mis sur la table par Sarkozy, n’est même pas contesté ! Tout le monde est finalement prêt à assumer le pillage des cerveaux des pays pauvres et à refuser de reconnaître que leur pauvreté est la source de la richesse de nos économies.

A Lille, comme d’habitude le comité des sans-papier-e-s s’est invité là où personne ne l’avait pas souhaité : dans la campagne électorale. Et comme d’habitude, l’accès aux meetings du PS et de l’UMP lui a été refusé. Il a fallu bloquer tout le centre-ville avec une double manifestation pour obtenir un rendez-vous avec une sous-sous-fifre de l’UMP. Le PS a fini lui aussi par se rappeler qu’il y avait des sans-papier-e-s lors de l’occupation de la fac de droit, 2 jours avant le 2ème tour : Bernard Roman (député de la 1° circonscription) est venu faire un discours de soutien alors que l’avant-veille sa candidate n’avait pas été foutue de marquer la moindre différence avec Sarkozy. Par contre le charitable François Bayrou a reçu bien gentiment les sans-papier-e-s dans son meeting... pour ne rien leur promettre ben sûr !

Pour la liberté de circulation et d’installation !

Reste que, face à la droite comme face à la gauche, ce sont en grande partie les rapports de force locaux qui déterminent les régularisations. Ainsi la mobilisation continue des sans-papier-e-s de Lille depuis 1996 est une vraie épine dans le pied de toutes les autorités qui se sont succédées. Outre les manifestations hebdomadaires, le CSP interpelle systématiquement les politiques et a organisé deux grèves de la faim en 2003 et 2004. La dernière grève a débouché sur la régularisation des participant-e-s (553 personnes), mais aussi sur un accord de "prévention des grèves de la faim" : plus de 60 dossiers examinés chaque mois lors de rencontres avec le CSP, le MRAP, la Cimade et la LDH sur les critères d’"attaches familiales", de "risques encourus dans les pays d’origine"et de "preuves d’intégration". L’application de cet accord est aujourd’hui décevante et plus de la moitié des dossiers présentés restent sur le carreau, (il y a des variantes au refus : on peut s’entendre dire que les réponses sont "différées" ou "en instance"). Pour appuyer sa revendication de régularisation de tous les dossiers présentés lors de ces rencontres mensuelles, le CSP a lancé début avril un mouvement d’occupations : mairie de Lambersart (chez M. Daubresse, proche de Sarkozy), fac de droit, Cité des Entreprises à Marcq en Baroeul, World Trade Center (!) de Lille. La réaction du patronat, propriétaire de ces 2 derniers lieux, est sans ambiguïté : intervention des flics immédiate et sans discussion possible. Face aux refus successifs et au désespoir causé par une attente interminable aux résultats arbitraires, beaucoup de sans-papier-e-s ne voient plus qu’une solution : la grève de la faim.
Bon an mal an, on en arrive à des estimations de plus de 400.000 sans-papier-e-s sur le territoire...

On l’a dit et redit, les sans-papier-e-s seront les premières victimes du nouveau règne de Sarkozy à l’Elysée. Mais ce ne seront pas les seules victimes de la droite de gouvernement et du système politique et économique. Celles et ceux qui travaillent, qui sont au chômage, qui sont isolé-e-s ont beaucoup à perdre face au rouleau-compresseur du capitalisme libéral et à ses zélés petits soldats. Et chaque fois que le pouvoir écrase un peu plus la gueule des sans-papier-e-s, ce sont les droits de chacun-e qui reculent, ce sont les libertés de chacun-e qui sont attaqués. Beaucoup sont conscient-e-s de la nécessité de les soutenir dans leur lutte, et le nombre de participant-e-s aux manifs hebdomadaires du CSP a augmenté depuis avril. Le combat pour la régularisation des sans-papier-e-s est une lutte importante et nous devons l’élargir à la lutte pour la liberté de circulation et d’installation totale sur la planète. Les frontières sont aujourd’hui un moyen essentiel d’opprimer les populations, non seulement en les laissant à la merci de dictateurs ou de milices sanguinaires, mais aussi en les enfermant dans des conditions de pauvreté et d"exploitation qui ne font qu’empirer.