Accueil > archéologie:alternataire > La Sociale (2002-2012) > 03 (décembre 2002) > Pour des services publics libertaires

Pour des services publics libertaires

décembre 2002


 Depuis l’accession au pouvoir du gouvernement Chirac/Raffarin, des mouvements encore trop isolés ne cessent d’apparaître contre la politique de casse des services publics. En octobre, c’est autour d’EDF-GDF que le mouvement était parti, et le 26 novembre, c’est l’ensemble des services publics, quel qu’en soit le statut, qui a décrété une journée de mobilisation, même si on assiste une fois de plus à une dispersion syndicale. Ceci étant, tout comme en 1995, les anarchistes participent à ce mouvement. Pourtant, la question peut sembler contradictoire au premier abord : nous sommes anti-étatistes et nous défendons les services publics. Depuis 1983, droite et gauche confondues organisent leur mise en coupe réglée (sous prétexte de rentabilisation), tout comme ils organisent la casse de la protection sociale.

 Aujourd’hui, on renforce une fois de plus la précarité de l’emploi dans les services publics (destruction du statut de surveillant…). Les politiques récentes de décentralisation visent avant tout à renforcer le poids des élus et du patronat locaux dans la gestion et les objectifs de services publics. Déjà de nombreuses entreprises publiques ont été dépecées pour conserver à l’État les parties les moins rentables et brader au patronat celles susceptibles de rapporter : privatisation de France Telecom après sa séparation d’avec la Poste ; séparation par le ministre communiste Jean-Claude Gayssot de la SNCF en deux entreprises : la SNCF (les trains) et le Réseau Ferré de France (les rails…) avant l’ouverture à la concurrence du secteur. Même chose pour EDF et GDF. La France vient ainsi de donner son accord à une privatisation totale du secteur de l’énergie européen que Chirac et Jospin avaient combattu - élections obligent - au printemps dernier à Barcelone.

L’État Providence : une escroquerie

 Depuis la Seconde Guerre Mondiale jusqu’au début des années 80, les services publics furent considérés, avec la protection sociale, comme des béquilles du marché, destinés à atténuer la féroce exploitation du capital. C’était le fameux « État Providence ». Peu de gens se rendaient compte qu’il constituait une belle escroquerie : cette providence provenait en fait directement des revenus du travail, donc du prolétariat et de tout un chacun. Et beaucoup ont oublié que la Sécurité sociale n’était pas gérée par l’État mais par les organisations syndicales. Mais si l’État avait développé certains services publics, et nationalisé certaines entreprises, ce n’était pas par charité. Il répondait à des impératifs de formation de la main d’œuvre pour les entreprises (éducation), et de développement (aménagement du territoire, énergie…), quand il ne s’agissait pas de visées natalistes (allocations familiales) ou néo-coloniales (banques, Elf…). Mais il répondait aussi à la pression constante de l’agitation sociale et devait céder devant certaines revendications ouvrières, en matière de protection sociale notamment.

 Les services publics, comme la protection sociale, étaient donc conçus comme des remèdes aux incohérences du marché et comme l’outil d’une certaine cohésion sociale dans une société inégale et qui devait absolument le rester.

 Depuis le milieu des années 70, la faiblesse du mouvement social, due principalement à la pression du chômage, a ouvert la voie à une revanche des tenants du capital. La mission des services publics dans le cadre de l’État s’en est trouvée bouleversée. Impératifs de rentabilité financière, méthodes de gestion libérale, concurrence avec des entreprises privées aux objectifs purement financiers, baisse des effectifs, flexibilité, recours massif aux emplois précaires, services minimum pour les pauvres et services payants pour les riches... La liste des maux est longue. Et nous avons été de toutes les luttes contre ces régressions.

L’État : un patron comme les autres

 Est-ce-à-dire que nous prônons un pur et simple retour à la situation précédente ? À l’État Providence ? Bien évidemment non. C’est que nous faisons une distinction très nette entre la notion d’État et celle de service public. Ce n’est pas la qualité du propriétaire qui nous importe (privé ou étatique, ou les deux à la fois selon une pratique désormais bien établie du capitalisme à la française). C’est la fonction d’utilité sociale pour la population qui est déterminante.

 Et les services publics étatiques ne brillent pas davantage que leur version libérale des mille feux de l’égalité et de la solidarité. On y applique la centralisation, la hiérarchie, le corporatisme, voire trop souvent un nationalisme bêlant dans un but prioritaire (quel que soit la bonne foi de celles et ceux qui y travaillent) : servir avec zèle tous les pouvoirs. Ainsi, l’Éducation nationale, qui passe pour un des fleurons des services publics, demeure fondamentalement une école de l’inégalité des chances, du tri social et de la reproduction de la division sociale.

Bref, tous ces prétendus services publics auxquels il faudrait rajouter l’armée, la police, la magistrature, les impôts et les usines d’armement, ne gèrent en rien l’intérêt général au bénéfice de la population. Alors ?

Pour des services publics autogérés par toutes et tous

 Alors nous ne voulons évidemment pas en revenir aux administrations casernes toutes puissantes. Dans une civilisation évoluée, les services publics sont un droit inaliénable donc : non marchands, d’accès libre, universels, ils garantissent l’égalité des citoyens et sont facteurs d’entraide sociale. Ils touchent toutes les activités indispensables à la vie en société : éducation, logement, santé, transport, communication. De nouveaux champs apparaissent : gestion de la ville (au sens large), gestion des ressources naturelles, distribution alimentaire, énergie, culture...

 Nous prônons la socialisation des moyens de production. Celà ne signifie évidemment pas leur nationalisation si chère à l’Union de la Gauche. Cela signifie leur appropriation et une gestion collectives par les producteurs et bénéficiaires.
_ La vision que nous avons des services publics est donc la suivante :
 1) des services collectifs, sociaux, donc autogérés collectivement par les acteurs et bénéficiaires de ces services. Cela n’ira peut-être pas sans poser de problème, notamment de conflit d’intérêt entre producteurs de ces services et consommateurs. Mais l’autogestion et le fédéralisme sont pour nous la seule voie qui nous permettront d’échapper à la fois à l’aumône ultra-libérale et au caporalisme étatique. Et qui dit autogestion dit nécessairement égalité économique et sociale des salarié-e-s.
 2) des services gratuits. Des transports gratuits, l’éducation réellement gratuite, le logement gratuit, l’énergie, les communications, la nourriture, l’eau, la santé… gratuites sont les seuls vecteurs réels d’égalité sociale. Cette gratuité se conjugue avec l’autogestion et le fédéralisme (avec un rôle central pour les communes) pour assurer la cohérence de la gestion des ressources. C’est pour nous un premier pas vers un véritable communisme libertaire.

Grève à Esterra : gestion privée d’un service public

Cette filiale des groupes Suez-Lyonnaise des Eaux et de Vivendi est l’un des principaux entrepreneurs privés de collecte et de tri des déchets. Une grève a démarré à Lille le 28 octobre. Une nouvelle convention collective des activités du déchet est en effet applicable depuis le 1er juillet. Les salarié-e-s réclamaient son application, comme dans les entreprises parisiennes, ce qui correspond à une augmentation de 46 euros par mois. La CGT n’appelait pas à la grève, la trouvant prématurée. Pierre Mauroy, président de la communauté urbain, qui avait privatisé ce service public, et Martine Aubry, maire de Lille, tous deux donneurs d’ordre dans l’attribution de ce marché, ont refusé d’intervenir dans le conflit et de défendre les salariés.

Les trois dépôts (Wambrechies, Sequedin et Wasquehal) ont été bloqués jours et nuits. Le 1er novembre, la police est intervenue au dépôt de Wambrechies. Cela a eu pour effet de renforcer la grève dans les deux autres centres. Et la CGT a appelé à deux jours de grève en signe de protestation. La Direction a tenté d’exiger la reprise du travail en préalable à toute discussion, mais devant la détermination des grévistes, elle a finalement accepté de négocier. Après 12 heures de discussion, elle lâchait la reconnaissance de la convention collective. Ce qui fit déclarer le 5 novembre à l’un des grévistes : « nous avons décidé la reprise du travail ; nous avons obtenu notre augmentation de salaire, mais aussi la satisfaction d’avoir fait plier la direction pour obtenir nos droits. »