Accueil > archéologie:alternataire > La Sociale (2002-2012) > 28 (décembre 2008) > Afghans : un Charter de Moins

Afghans : un Charter de Moins

mercredi 17 décembre 2008


Début novembre, nous apprenions l’imminence d’un charter commun entre les Etats français et britannique à destination de Kaboul. Pressé de questions, le ministre Hortefeux a fini par cracher que la France "réfléchissait" à cette proposition du Royaume-Uni. En fait de réflexion, le projet était sûrement bien avancé puisque la chasse à l’Afghan avait été décrétée à Calais quelques jours plus tôt : plus d’une cinquantaine étaient au centre de rétention (CRA) de Coquelles, alors que touTEs les ressortissantEs d’autres nationalités étaient relâchéEs.

Une mobilisation multiforme s’est mise en branle en quelques jours. A Calais, les militantEs se réunissaient chaque soir devant le CRA de Coquelles, certainEs veillant toute la nuit pour surveiller les allées et venues et communiquer en direct avec les retenus, d’autres leur rendaient des visites quotidiennes dans le centre. A Lille, plusieurs rassemblements ont eu lieu dans le centre-ville et des militantEs ont fait le lien entre les deux villes. A Paris également, des rassemblements de soutien ont été organisés. La presse a été harcelée à coups de communiqués, des "personnalités" ont pris position, une plainte a été déposée devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) car la Convention Européenne des Droits de l’Homme interdit les expulsions collectives. Enfin, à Londres, des militantEs ont tenu un piquet devant l’Office du Tourisme français. Des actions directes étaient également envisagées si le charter – qui devait décoller de Lesquin - s’était matérialisé plus avant.

La CEDH comme arbitre ?

Tout ce ramdam a finalement abouti à l’abandon par les autorités françaises de ce charter commun. Dans son communiqué le sinistre Ministère de l’Identité Nationale invoque des complications juridiques. En effet, la CEDH a bien demandé à la France de ne pas réaliser cette expulsion. Pas un mot bien sûr à propos de la mobilisation importante de nombreuses associations, groupes, individuEs révoltéEs par ce projet cynique. Bien sûr ! Il est plus facile à un gouvernement de reconnaître qu’il s’est plié – même à contre-coeur - à une "légalité" dont il est le producteur plutôt qu’à des braillardEs de notre espèce. Et pourtant, il est évident que cette mobilisation a pesé lourd dans la balance. Cela aurait tout de même fait désordre que tout le monde sache que la France renvoyait massivement des personnes dans un pays où elle-même fait la guerre depuis 7 ans et où la "sécurité" est loin d’être assurée. Il fallait donc éviter que la presse ne s’empare de l’affaire. Les médias bourgeois n’ont pas vraiment montré d’empressement à couvrir l’affaire et n’ont tressailli que pour nous annoncer que Atiq Rahimi, le tout nouveau prix Goncourt, s’était élevé contre ce charter. Il faut dire qu’ils étaient bien trop occupés à traquer le terroriste en Corrèze et à aider le PS à s’entredéchirer, pour la grande joie de l’UMP au pouvoir.

Et maintenant ? On s’organise ?

Si cette affaire a donné lieu à une vraie mobilisation qui a eu des résultats, elle pose aussi beaucoup de questions.

D’abord, est-ce une "victoire" ? Oui, le charter ne décollera pas de France et nous nous en réjouissons. Reste que les Afghans retenus en Angleterre ont apparemment bien été expulsés, comme de nombreux autres le sont régulièrement par la perfide Albion. Les AfghanEs en France n’obtiennent toujours pas l’asile politique facilement (31% des demandes à l’OFPRA en 2007) et on ne les encourage pas à le demander. Ils et elles constituent toujours un gibier de choix pour occuper les trop nombreux effectifs de police à Calais par leur statut ubuesquement flou de "non-régularisable" et "non-expulsable". Comme d’ailleurs une bonne partie de la population venue échouer depuis le monde entier sur "nos" côtes : CongolaisEs, SoudanaisES, ErythréenNEs, PalestinienNEs, IrakienNEs...

Cette lutte, menée dans l’urgence, n’a pas été au-delà de la lutte contre CE charter. Il va falloir faire bien des efforts pour faire admettre que ce n’est pas seulement un charter-vers-l’Afghanistan-en-guerre que nous refusons, mais bien toute expulsion. Personne n’émigre sans papiers pour le plaisir. Que ce soit pour fuir la misère, la guerre, la dictature ou les discriminations, on fuit pour éviter le pire, et jamais de gaieté de coeur. Les obstacles à la circulation et à l’installation des personnes sont tels qu’il faut être aveugle pour ne pas le comprendre ! On peut d’ailleurs se demander si ce projet de charter n’avait pas valeur de test pour l’opinion : jusqu’où nous battrons-nous contre l’inacceptable ? Demain, la mobilisation sera-t-elle la même contre des expulsions vers des pays réputés plus "sûrs" que l’Afghanistan (au hasard : Algérie, Chine, Mali ou Bangladesh...) ? La question se pose, mais nous pensons – puisqu’il faut parler stratégie – que mettre en lumière un cas extrême comme celui-ci permet aux personnes qui se sont mobilisées pour la première fois de creuser un peu plus la question des "politiques migratoires"... Et de se rendre compte de leur cynisme dans cette activité qui consiste à briser des vies en expulsant et en obligeant des centaines de milliers d’individuEs à la clandestinité et au travail au noir.

Cette mobilisation a aussi mis en évidence la faiblesse de la mobilisation dans le Calaisis en faveur des sans papiers. Les rassemblements devant le CRA n’ont réuni que quelques dizaines de personnes. La population de Calais n’a pas été informée par voie de tractage ou d’affichage, les syndicats locaux n’ont pas remué un orteil. Nous pensons qu’on ne peut pas faire l’économie, dans la lutte contre les frontières, d’un travail de fond sur les terrains les plus concernés. Quoi de plus pénible que de constater l’indifférence de ceux et celles qui sont aux premières loges ? Il est temps de reprendre ce boulot militant qui avait été entamé à l’époque de la fermeture de Sangatte, et qui a depuis été abandonné, laissant les assos humanitaires presque seules à patauger dans leur soupe. Il est temps de mettre en place, à Calais comme ailleurs, les outils de la lutte pour la liberté de circulation et d’installation ! Il est temps d’emboîter les pas à nos camarades de Grande Bretagne, de Belgique et d’ailleurs pour nous organiser de manière transfrontalière. Voilà qui sera déjà un premier pas dans la lutte contre les frontières !

Des papiers pour touTEs ou plus de papiers du tout !

Liberté de circulation et d’installation !