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Chronique d’une promenade en europe

jeudi 14 février 2008


L’histoire qui suit s’est passée il y a très peu de temps et se déroule en Europe ! Je vous rappelle qu’en Europe, depuis la convention de Schengen, les citoyens étrangers qui disposent d’un visa de longue durée pour l’un des pays membres peuvent circuler librement à l’intérieur de la zone.

L’héroïne de cette aventure rocambolesque s’appelle Dalila, elle a 21ans, est Marocaine et vit à Liège, depuis septembre 2007. Elle est arrivée en Belgique (avec un visa étudiant) pour poursuivre ses études et est régulièrement inscrite à l’académie des Beaux Arts de Liège. Elle a son appart’, travaille pour vivre et paie même des factures.

Un beau jour, elle décide de venir en France, cette terre d’accueil voisine dont elle a beaucoup entendu parler mais où elle n’a jamais encore mis les pieds. Elle était venue passer un week-end à Lille et donc son train la mène à la gare Lille Flandres. Un de ses amis belges l’accompagnant eut la mauvaise idée d’allumer une clope avant de quitter la gare et là fatalement, c’est le contrôle de police !!
“Bonsoir, messieurs dames, vos papiers ! Contrôle d’identité !”

Contrôle de Routine

L’ami belge de Dalila sort sa pièce d’identité tranquillement, Dalila fait de même mais merdouille !, elle n’avait pas sa carte de séjour sur elle. Mais bon n’ayant rien à se reprocher (sachant qu’elle est en règle), elle sort son passeport marocain avec un visa étudiant qui prouve qu’elle est bien arrivée légalement en Belgique, elle présente aussi un papier très officiel de la commune de Liège (l’équivalent de la préfecture) qui prouve qu’elle est en règle et sa carte d’étudiante et donne gaiement tout ça à la flic pas très gaie qui était devant elle. Au bout de quelques minutes, la flic, jubilant bizarrement, lui rétorque que ce n’est pas suffisant, Dalila doit suivre les policiers.
Elle est menée à la PAF (Police aux Frontières), toute confiante, elle se dit que ça doit être un contrôle de routine. Mais non, elle y passera toute la nuit du vendredi en garde à vue pour motif de manque de papiers d’identité. Le lendemain, Dalila est transférée au centre de rétention de Lesquin en tant qu’étrangère en situation irrégulière, sur décision préfectorale (tiens, tiens !)
Elle passera tout le week-end à Lesquin avant d’être présentée devant le juge des libertés et de la détention. Lors de son “procès”, elle était défendue par une avocate (en 2eme année d’études apparemment) commis d’office et qui ne connaissait pas plus que ma grand-mère les lois relatives aux étrangers !

Se foutant totalement du fait qu’elle soit étudiante et qu’elle ait un travail, le juge décide de la replacer au centre de rétention jusqu’au jour de son expulsion vers… La Belgique !!!
Elle finit par apprendre grâce à la Cimade qu’elle pouvait déposer une demande d’assignation à résidence chez son amie lilloise (moi), sa requête ne sera acceptée que 4 jours plus tard.
Elle aura passé 6 jours au centre de rétention avant d’arriver chez moi où elle ne devait sortir (selon la loi) que pour aller pointer au commissariat tous les jours.
7 jours plus tard Dalila fut convoquée à la PAF pour être expulsée. Elle fut reconduite à la frontière sous escorte policière, 3 flics rien que pour elle (Dalila fait 55 kilos toute mouillée) qui l’emmenèrent jusqu’au poste frontière de Rekkem ; une autre voiture avec deux autres flics arriva par la suite pour lui donner son passeport que la police avait oublié de lui remettre. (L’état a apparemment les moyens de payer l’essence !!)

“Il n’y a aucun problème !”

Les policiers belges venus la récupérer à la frontière franco-belge (frontière censée ne plus exister d’ailleurs), après contrôle de ses papiers, lui dirent tout simplement : “Eh bah Mademoiselle, il n’y a aucun problème avec vous, vous êtes en règle !! Au revoir !”
Elle finit par rentrer chez elle à Liège après 12 jours où elle était bloquée en France, privée de sa liberté, ratant ses cours et son boulot qui lui permet de vivre.

En souvenir de son premier séjour dans cette terre d’accueil française, Dalila a gardé sa carte d’adhésion au club des 25.000 ! (son ordre d’expulsion vers la Belgique) et un amer souvenir de ses 6 jours passés en taule (ah pardon, on appelle ça un centre de rétention administrative !) et des menottes qu’on lui a mises pour l’emmener au tribunal !
Je tiens à préciser quand même qu’un seul coup de fil vers la commune de Liège aurait suffi à éviter toute cette histoire !

Cette histoire s’est passée en janvier 2008 !!

Tout s’explique

Donc voilà tout s’explique :
La flic qui l’a arrêtée à la gare en jubilant faisait du chiffre, le centre de rétention qui l’a enfermée faisait du chiffre et Canépa qui a signé son ordre d’expulsion faisait du chiffre aussi !!
Même quelques policiers rencontrés lors de mes visites à Lesquin avouent qu’ils n’en peuvent plus de voir des cas pareils. D’après leurs dires, ils subissent aussi la pression des chiffres et trouvent certains cas complètement aberrants ! ‘Les français ont élu un mec qui leur promettait monts et merveilles, j’espère que maintenant ils se rendent compte de l’erreur qu’ils ont commise !” dixit l’un d’eux et pas un des moins gradés !

L’expulsion de Dalila fera partie des quotas annuels d’expulsions de sans-papiers alors qu’elle est en règle ! Il faut savoir qu’une bonne partie des 25.000 expulsions est constituée de cas pareils de reconduites à la frontière de pays européens limitrophes !

Alors à quoi mène cette logique aberrante et complètement injuste ? Quelle est la différence entre Dalila et son ami belge, tous deux venus passer un weekend à Lille ? Comment expliquer le fait que l’ami belge de Dalila put rentrer tranquillement chez lui car son passeport était rouge ? Et pourquoi est ce que le passeport vert (marocain) de Dalila ne lui permet pas de circuler librement ?